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des victimes et de la liberté. » La police ne s’est pas autrement alarmée de ce sombre déploiement d’émotions menaçantes.

Il y avait d’ailleurs tout ce temps-ci de bien autres préoccupations qui marquaient de leur empreinte la physionomie de la grande ville. Depuis le 17 juin jusque dans la seconde moitié de septembre, époque d’un déclin assez sensible, le choléra n’a pas enlevé moins de treize mille personnes, rien qu’à Londres. — il a frappé surtout les quartiers pauvres, et c’était une pitié de voir les accès du cimetière de Lambeth littéralement assiégés par les funérailles. Puis est venu paroisse par paroisse, quartier par quartier, le jour de jeûne et d’humiliation consacré à la prière. Ce n’était pas cette fois un jour unique fixé par le gouvernement avec la froide régularité d’une prescription officielle ; la piété particulière avait pris les devans, et les différens clergés ont célébré l’office de pénitence, selon la convenance et le moment de chaque église, en appelant spontanément à eux les fidèles. Les quartiers de Londres ont pris l’un après l’autre l’aspect rigoureux d’un dimanche anglais : les boutiques fermées, les temples encombrés, la foule recueillie ou ennuyée.

Ce n’est pas à Londres cependant qu’on se bornerait jamais, en fait de remède, au mysticisme d’une résignation dévote. On a recherché ardemment les causes du fléau, les circonstances locales qui tendaient à l’aggraver. La capitale de l’Angleterre a gardé beaucoup plus que la nôtre les habitudes et les traces du moyen-âge : on amène encore les bestiaux à Smithfield ; on les abat dans le voisinage, au cœur même de la ville, et il arrive souvent que tout le train des rues de la Cité, dont celles de Paris nous donnent à peine l’idée, est arrêté par la course furieuse de quelque animal échappé au couteau du boucher. Chaque paroisse a de même conservé son cimetière, où les siècles ont amassé les os de tant de générations. Cette terre, aujourd’hui toute composée de détritus humains, exhale les miasmes les plus funestes, et, comme dit le Punch, le moyen de diminuer le nombre des décès est de diminuer le nombre des cimetières. Aussi, de toutes part, on ouvre des enquêtes qui révèlent le danger de ces foyers d’infection, et le souci de la santé publique oblige le gouvernement et les particuliers à entrer en lutte avec les administrateurs des paroisses. On travaille également à nettoyer les régions malsaines où campe l’indigence, on s’efforce d’y faire circuler plus généreusement l’air et la lumière. On voudrait renouveler jusqu’à l’eau, s’il était possible, et l’imagination hardie des ingénieurs anglais enfante les expédiens les plus gigantesques, tantôt pour détourner de la Tamise le flot d’immondices qu’y jette une population de dix-huit cent mille habitans, tantôt pour tirer d’ailleurs un autre breuvage que le poison qu’on puise dans cette rivière empestée.

Pendant que l’immense métropole lutte ainsi avec courage contre les maux qui résultent de son accroissement même, le monde politique en général se repose et goûte à loisir ses vacances La reine a fait en Écosse son pèlerinage accoutumé : lord John Russell l’y a suivie. Sir Rohert Peel y habite aussi son domaine pittoresque d’Eilean Aigas. La nobility et la gentry échangent tranquillement ces visites de campagne si soigneusement enregistrées dans l’aristocratique Post. Quelques-uns des représentans les plus illustres de cette haute société emploient honorablement leurs loisirs parlementaires à rapprocher d’eux les tenanciers de leurs vastes états. Il est plus d’un esprit élevé en Angleterre