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matiques le temps de se produire, d’entraîner des pertes considérables pour le trésor car la contrebande profite de ce répit pour monder de ses importations le marché intérieur[1], de paralyser enfin des capitaux considérables, en suspendant l’essor des entreprises légitimes et sérieuses qui se sont organisées en vue des nouveaux tarifs.

Quant à cet épouvantail des prétentions prohibitionistes de la Catalogne, dont les journaux anglais s’évertuent à faire tant de bruit, rien n’est plus chimérique nous l’avons expliqué maintes fois, et le rappel de M. Orlando prouve que le gouvernement espagnol en est tout le premier convaincu. Le cas échéant, d’ailleurs ; ces prétentions seraient contrebalancées sur les lieux mêmes. Une partie notable de la Catalogne déborde sur le versant septentrional des Pyrénées. Condamnées, par l’excessive difficulté des communications, à venir s’approvisionner en France de la presque totalité des objets qu’elles consomment, isolées par la même cause de la corporation contrebandière, et déshéritées par conséquent de ses moyens d’action, les populations de ce versant supportent dans toute sa rigueur et sans palliatif aucun le fardeau des anciens tarifs. L’annonce de la réforme douanière les a comblées de joie : tout obstacle illégal et violent apporté à la réalisation de cette réforme les soulèverait en masse au profit du gouvernement. Ainsi, nul danger possible du côté de la Catalogne, nulle excuse aux tâtonnemens. C’est l’indécision seule qui pourrait produire ici le danger, en laissant soupçonner aux quelques intérêts qui repoussent la réforme que le gouvernement les craint, qu’il les trouve moins impuissans qu’eux-mêmes ne le croient. Ainsi la seule considération que les égoïsmes froissés fassent valoir contre la loi des tarifs milite précisément en faveur de la promulgation immédiate de cette loi.

Les Anglais eux-mêmes sont-ils bien convaincus de l’efficacité de leur tactique ? Ne joueraient-ils pas plutôt en ceci le rôle d’endormeurs ? Pendant qu’ils proclament dangereuse, impossible, l’application de la nouvelle loi, ils se mettent activement en situation d’en profiter. La loi était à peine votée que des agens de maisons anglaises venaient créer des dépôts jusqu’au centre des Pyrénées espagnoles. Nous sommes en mesure de citer à cet égard des chiffres et des noms propres. Avis à notre commerce, qui a la mauvaise habitude de ne venir jamais qu’à la suite, et qui s’il n’y prend garde, laissera ici se nouer des relations, se créer des habitudes de consommation qui pourront l’exclure de son marché le plus naturel et le plus immédiat. Faisons la part de tout le monde. Notre gouvernement lui-même se montre-t-il ici beaucoup plus prévoyant que les intérêts individuels ? Sait-il dans quelles limites se circonscrira l’application des nouveaux tarifs espagnols ? Veille-t-il à ce que, par une désignation partiale des bureaux qui seront ouverts à l’importation des articles jusqu’ici prohibés, la France ne soit pas exclue, au profit de la Belgique, du Zollverein, de l’Angleterre, des États-Unis, du bénéfice de cette réforme ? S’est-il encore préoccupé des concessions mutuelles qui peuvent accélérer et élargir le courant commercial des deux pays, ou tout au moins en empêcher la déviation ? Tout ce que nous savons, c’est que les autres diplomaties s’agitent beau-

  1. Les douanes intérieures sont déjà supprimées depuis quelque temps. Cette mesure est le corollaire naturel de la réforme douanière ; mais, combinée avec le maintien momentané des anciens tarifs, elle donne à la contrebande un encouragement énorme.