Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des relations à peine commencées. Au bout de quelques mois, M. de Guines retourna à Versailles, et M. de Goltz à Berlin.

Frédéric avait accompli tout ce qu’il s’était proposé. Il avait prouvé à la Russie et à l’Autriche qu’il ne dépendait ni de l’une ni de l’autre, qu’il n’était pas isolé, qu’il pouvait nouer, à son gré, des amitiés nouvelles ; puis, après avoir fait cette démonstration, il rompait les relations qu’il venait de former avec la France et les sacrifiait à l’Autriche pour la rendre complice de ses desseins sur la Pologne. À peine l’envoyé de Louis XV avait-il quitté la cour de Frédéric, que ce prince proposa une entrevue à Joseph II. Eut-elle lieu secrètement sur les frontières de Bohème ? Marie-Thérèse parvint-elle à l’empêcher alors ? C’est un mystère historique, mais d’une médiocre importance. Le germe jeté ne tarda pas à fructifier. Seulement Frédéric comprit qu’il ne suffisait pas d’avoir le jeune empereur pour soi, qu’il fallait surtout conquérir le vieux ministre. L’œil d’aigle du roi de Prusse avait pénétré le cœur de Joseph II. Il y avait trouvé une ambition démesurée et facile à séduire. Marie-Thérèse, comme toutes les mères pieuses et vigilantes, avait voulu préserver son fils d’une liaison si dangereuse. Elle n’avait pas voulu qu’il rencontrât celui qu’elle appelait un contempteur des hommes et de Dieu ; elle avait empêché une première entrevue. Il n’y avait qu’un moyen de l’endormir, c’était de flatter Kaunitz. Jusqu’alors, Frédéric s’était moqué des manies et des ridicules de ce ministre éminent, mais bizarre et vaniteux. Les railleries du grand homme avaient mis M. de Kaunitz au désespoir. « Le roi de Prusse, avait-il dit souvent avec amertume, est le seul homme qui me refuse l’estime qui m’est due. » Le roi de Prusse ne refusa plus cette estime si désirée ; il supprima les sarcasmes et y substitua les complimens. Dès-lors il n’y eut plus d’obstacle entre le roi et l’empereur ; sans éclater au dehors, une révolution complète s’opéra dans l’intérieur de la cour de Vienne. Marie-Thérèse aimait la paix, Joseph était ambitieux, et Kaunitz, placé entre l’empereur et sa mère se trouva dans la position d’un intendant économe près d’un fils de famille mineur et prodigue. Plus d’une fois, pour éprouver son crédit, il essaya de donner sa démission, mais ces retraites, jamais acceptées, le raffermissaient au pouvoir ; enfin, par un mélange d’adresse et de raideur, il se remit en équilibre, et devint en même temps le confident de la mère et le complaisant du fils.

N’essayant pas de heurter un jeune prince spirituel, entêté et présomptueux, Kaunitz réussit d’autant mieux à le conduire, qu’il eut toujours l’air de le suivre. Joseph se proposa le même manége, et chacun crut avoir gagné l’autre. D’ailleurs, la politique de Joseph II ne répugnait pas absolument à M. de Kaunitz. Nous le répétons Kaunitz aimait la paix, il la maintenait dans la crainte de l’ascendant de M. de Lasey