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le partage de la pologne.

rares, était surnommé, avec trop d’emphase peut-être, le Versailles de la Pologne. Le comte de Branicki et sa jeune épouse, sœur de Poniatowski, nièce des princes Czartoriski, y exerçait l’antique hospitalité polonaise avec ce mélange de faste et de grace qui en faisait le caractère distinctif. La vieille Pologne s’était réfugiée dans ce palais ; elle s’y conservait comme les débris des monumens anciens dans nos modernes musées. Des pages, des Cosaques, des heiduques, troupe guerrière et domestique, remplissaient nuit et jour les avenues et les salles ; on entendait sans cesse le bruit des armes ; un Polonais ne quittait jamais son sabre. Au milieu de tout ce tumulte paraissait la noble châtelaine, entourée de dames et de demoiselles, amies, parentes ou commensales, dont quelques-unes, amphibies de familiarité et de servitude étaient désignées dans les plus grandes maisons polonaises du nom singulier de panna stolova (demoiselle de table), parce que, nobles de nom et d’armes, elles avaient droit de prendre place à la table de leurs égaux que la fortune seule avait faits leurs maîtres. Tel était en effet le principe constitutif de la Pologne. On en retrouvait la trace et l’image, même dans les châtimens corporels. Le szlachtych pauvre gentilhomme au service du fastueux palatin et du castellan superbe avait le droit de ne recevoir la bastonnade que sur un tapis de Turquie Malheureusement, plusieurs des privilèges défendus avec tant de courage par l’aristocratie polonaise tenaient de ces traditions barbares. Les esprits éclairés, même dans la plus haute noblesse, en désiraient l’abolition ou l’amendement, et c’est là ce qui constituait un second parti, le parti réformateur. Ses adhérens étaient les whigs de la Pologne.

Là comme ailleurs, à côté des antiques coutumes, surgissaient de toutes parts des opinions nouvelles, une société moderne. Élevés par des précepteurs français, épris de notre théâtre et de nos poésies légères, initiés aux secrets les plus subtils de la conversation parisienne, quelques hommes, quelques jeunes gens surtout, s’abandonnaient avec transport aux conseils de la tolérance, aux promesses de la philosophie. Cette brillante aristocratie ne se contentait pas de la vie de château fort, dont la monotonie n’était plus relevée par les périls de la guerre. Aux repas prolongés sans mesure et terminés par l’ivresse, aux plaisirs de la haute justice exercée sur quelques misérables Israélites, elle préférait l’étude et le spectacle des mœurs modernes, l’entretien des philosophes et la douce culture des lettres. Le besoin de mouvement, si naturel aux peuples slaves, les jetait sur les grandes routes ; les Polonais y erraient comme leurs ancêtres. Ainsi l’instinct nomade, antérieur à la civilisation, contribuait alors à ses progrès. C’est dans ces courses d’un bout de l’Europe à l’autre qu’ils puisaient le sentiment, le désir et l’espérance d’une réforme politique. Sans doute, ils l’embrassaient