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malgré son horreur pour l’infanterie et pour les places fortes[1] dans un temps où le monde se hérissait de forteresses et se couvrait de fantassins, la république aurait pu vivre. Elle aurait pu continuer à lancer contre l’Osmanli et le Tartare cette cavalerie redoutable qu’on voyait fondre sur l’ennemi avec la vitesse de l’aigle[2]. Ses mains auraient pu tenir long-temps encore ces marteaux d’armes tant vantés et ces arcs qu’on ne vit jamais tendus en vain. Revêtue de la panoplie rouillée du moyen-âge, elle aurait suppléé par le prestige de sa bravoure à la faiblesse d’un mode de défense trop suranné. D’ailleurs, parmi tant d’erreurs politiques, il en est de très graves dont elle avait su se prémunir. Quelque danger qu’il pût y avoir et qu’il y eût en effet dans le maintien de mauvaises lois, uniquement parce qu’elles étaient anciennes, le respect des Polonais pour la tradition des ancêtres, leur esprit de conservation excessive, n’en étaient pas moins un préservatif contre le goût du changement, plaie des temps modernes. Au plus fort de leur anarchie, on n’a pas vu les Polonais se lancer dans cette course éperdue, dans cette danse de Saint-Guy des générations nouvelles, à travers les constitutions de rechange et les révolutions de hasard. Ce qui les a perdus, c’est de n’avoir pas su se défendre d’un autre mal qui vient à bout des nations les plus vigoureuses, qui paralyse, qui énerve, qui menace de décadence des sociétés bien autrement constituées, civilisées, influentes, bien plus puissamment établies au centre même des intérêts européens que ne le fut jamais la Pologne ; mal affreux qu’il suffit, comme la peste, d’appeler par son nom… la discorde !


ALEXIS DE SAINT-PRIEST.

  1. J’ai souvent ouï dire parmi nous que le nom de Pologne vient d’un ancien mot de notre langue qui signifie campagne. On inférait de là que nous ne sommes point fait pour nous renfermer dans des villes : on croyait les places fortes peu utiles ; peu s’en faut même qu’on ne les crût pernicieuses, et la raison qu’on en donnait, c’est que ces places une fois entre les mains des ennemis, elles leur deviendraient un moyen de nous subjuguer avec plus d’avantage et peut-être sans espoir de retour. Un paradoxe si étrange ne peut avoir lieu que parmi nous. » Œuvres du philosophe bienfaisant, tome II, page LXXVII.
  2. Bossuet, Oraison funèbre d’Anne de Gonzague.