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d’or ajustée sur le sommet de la tête une couronne de fleurs d’un blanc de lait posée sur les tempes, des bracelets de toutes couleurs échelonnés sur le bras depuis le coude jusqu’au poignet, des anneaux de cuivre reluisans et sonores attachés autour de la cheville du pied, des brillans précieux suspendus aux oreilles, et une longue écharpe à bandes roses qui, roulée autour de la taille, se perdait sous l’épaule en voilant la poitrine, composaient cette parure. Roukminie la portait gravement comme l’oiseau son plumage, sans joie puérile, sans désir d’attirer les regards. La teinte jaune du sandal en poudre semé à profusion sur son visage, donnait même sa physionomie de quinze ans l’aspect morne et inanimé d’une statue peinte.

En face de sa fille parée comme une idole, Nilakantha s’asseyait à l’autre extrémité de la galerie, dans le simple costume du brahmane officiant, les cheveux déliés, les bras et la poitrine rayés de lignes grisâtres qu’y avaient appliquées ses deux mains trempées dans les cendres du foyer. Ce bizarre tatouage et le mince cordon, signe distinctif des hautes castes, posé en sautoir sur l’épaule droite, formaient le seul vêtement qui couvrît la partie supérieure de son corps. Ses jambes croisées se perdaient sous les plis bouffans du pagne, qui présentaient dans leur arrangement un certain art, car il y a encore de la coquetterie dans la disposition de ce costume, simple jusqu’au cynisme. Le dos humide du brahmane portait les traces des ablutions par lesquelles il s’était purifié des souillures de la journée. Dans cette tenue traditionnelle du prêtre hindou, Nilakantha se livrait avec ardeur à la méditation. Alexandre environné de toute sa pompe se fût approché de lui, que cet autre Diogène n’eût pas même levé les yeux pour lui dire : « Retire-toi de mon soleil ! »


II

Cette existence monotone ne fatiguait point le brahmane et n’ennuyait point sa fille ; ils n’en rêvaient pas d’autre. Les bruits lointains de la ville européenne ne leur causaient pas plus d’impression que le murmure des flots sur la plage. Un soir donc que Roukminie et son père, assis à leur place accoutumée, se laissaient pénétrer doucement à la brise qui soufflait de la mer, il arriva que deux cavaliers passèrent par le village. C’étaient deux Européens, l’un jeune encore, mais déjà bruni par le soleil de l’Inde ; l’autre plus près de l’adolescence, rose et frais comme l’est un nouveau débarqué, part d’Angleterre depuis six mois à peine. Montés sur de jolis chevaux de race persane, ils se promenaient au pas, en suivant la route tracée au milieu des champs et des jardins ; sentier sinueux, tout ombragé de manguiers