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trouvé chez les esprits les plus cultivés ses historiens, ses philosophes, ses théoriciens, ses poètes et aussi (ô comble de l’horrible !) ses conservateurs, ses conservateurs retardataires. Oui, dans notre pays il y a une tradition révolutionnaire qui a ses Burke et ses Metternich, ses jésuites et ses dominicains. Le droit d’insurrection, en pervertissant le sens moral des esprits, a créé entre les différentes générations une solidarité satanique. Soyez dignes de vos pères, écrit tous les jours tel écrivain radical ; cela veut dire : non-seulement conservez leur œuvre, mais prolongez-la, conservez leurs méthodes, leurs idées, leurs passions, leurs traditions révolutionnaires. Depuis soixante ans, les masses, ainsi perverties moralement, ont vécu sur le même fonds de croyances fatales et de souvenirs terribles ; elles ne se sont élancées à la poursuite d’aucune chose nouvelle, elles ont simplement continué ce qui fut inventé dans quelques heures d’éternelle horreur et de désespoir frénétique. Ce sont les mêmes chants, les mêmes idées, les mêmes tendances. Les révolutionnaires ont leurs évangiles d’après Mably, d’après Robespierre, d’après Baboeuf ; ils ont leur martyrologe, leurs légendes, leurs reliques, leurs catacombes, qui sont les sociétés secrètes, enfin tout ce qui compose une tradition. Ajoutez que cette tradition a, comme toutes les autres, ses obscurités, ses symboles, son mysticisme, ses croyans, ses superstitieux. Tout cela est bizarre et pourtant nous n’exagérons rien. Quiconque a rencontré dans la vie quelques radicaux des nuances avancées comprendra très bien ce que nous entendons par le mysticisme révolutionnaire. Et en littérature, voyez les œuvres que produit cet esprit. Les meilleurs romans de notre temps sont des romans révolutionnaires où plane l’esprit de vertige, de désorganisation, d’anarchie ; les meilleures poésies sont peut-être les plus ivres et les plus folles. Etonnez-vous maintenant que la littérature ne produise que des fruits sauvages et impurs !

Si cet esprit est dominant, si cette tradition révolutionnaire est la seule tradition existante aujourd’hui, que voulez-vous qui sorte de cette époque, sinon des destructions politiques et des œuvres littéraires négatives ou corrosives Les esprits, semblables aux moissons ravagées par la grêle et aux arbres abattus par la tempête, devront de plus en plus se démoraliser, perdre le sens véritable des notions morales les plus élémentaires. Non-seulement nos intelligences porteront en elles-mêmes les déchiremens du doute, mais à la longue elles devront regarder avec l’insouciance des idiots et des fous tout ce qui passera sous leurs yeux. Nous en sommes là déjà. Il n’y a plus que notre corps qui vive, qui frissonne, s’agite et s’irrite. Notre ame est pleine de lassitude. L’atmosphère morale est desséchée par l’esprit révolutionnaire, comme l’atmosphère des pays du Midi par le souffle ardent du sirocco.