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suivant s’écoula tout entier en des tentatives pareilles. Le quatrième et le cinquième jour passèrent, et le troupeau était encore du même côté de la rivière. On essaya de pousser les moutons dans l’eau à la lueur de la lune, mais sans succès. On y jeta de force un certain nombre de béliers, tirés par les cornes, avec l’espoir que le reste du troupeau, amené sur le bord, suivrait ses conducteurs habituels. Faux calcul : le troupeau ne bougea pas, malgré les cris des hommes et les aboiemens des chiens. On eut recours à un autre stratagème. Des agneaux furent conduits, à bord d’un bateau, sur la rive opposée, puis on amena les mères tout près du courant, avec l’espoir que les bêlemens de leurs petits les décideraient à aller les rejoindre. Cette invention échoua comme les précédentes. On imagina encore de laisser toute une journée le troupeau sans le faire boire, dans la pensée qu’il répugnerait moins à se jeter à l’eau, lorsqu’il serait très altéré. Ce fut une nouvelle déception. Enfin, le huitième jour, l’expédient suivant fut tenté et réussit. Plusieurs hommes se mirent à l’eau, pendant qu’on amenait sur le bord de deux à trois cents moutons ; puis d’autres hommes, restés à terre, joignirent leurs mains et poussèrent ainsi de force dans le courant les animaux, qui furent reçus et dirigés vers l’autre bord par les individus placés à cet effet au milieu de la rivière avec de l’eau jusqu’au cou. Quatre jours de travaux pénibles et de patience suffirent à peine pour conduire ainsi à la rive opposée sept mille moutons. Vingt-cinq se noyèrent. Plusieurs jours après, on rencontra une autre rivière. Les moutons s’y jetèrent d’eux-mêmes, et la traversèrent les uns après les autres en l’espace de dix minutes.


III

Les côtes orientales d’Australie ont été colonisées les premières. C’est en 1788 que les déportés de la Grande-Bretagne ont été débarqués à Botany-Bay. Quant aux établissemens situés au sud, à l’ouest et au nord de ce vaste pays, ils sont de formation toute récente. C’est donc par l’est de la Nouvelle-Hollande que les premières explorations ont été dirigées vers l’intérieur du continent. Or, à douze lieues environ dans les terres, à partir du rivage oriental, s’élève une chaîne de montagnes qu’on a regardées long-temps comme une barrière insurmontable.

Le lieutenant Daws a, le premier, essayé de la franchir, il est parti, en décembre 1789, suivi d’un corps de troupes. En arrivant au pied de la chaîne, il la trouva très escarpée, fermée à la base comme un mur de grès et de quartz, et lançant, à la hauteur de deux à six mille pieds, des pics séparés les uns des autres par des précipices profonds. En aucun lieu du monde, la nature ne présente un aspect plus sauvage. Cette terre tourmentée, poussant là des jets vigoureux au-dessus des nuages, ici s’affaissant en de sombres excavations, les flancs couverts par une ceinture de forêts, semble une ébauche de la nature. La chaîne n’a qu’une élévation moyenne ; mais elle compense par la sublime horreur de son désordre, ce qui lui manque en majesté. La végétation qui s’y montre n’a rien de commun avec la riante verdure des forêts d’Europe. Le nom de Montagnes Bleues qu’on a donné à cette chaîne est justifié par la teinte générale du feuillage, de la terre et des rochers ont y trouvé du fer, du