Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/539

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous a fait de grands ennemis, épargnons cet enfant ; une générosité en appelle une autre.

« Au même instant, deux Soukmaren (fraction des Touareug) arrivèrent apportant le corps de Ben-Mansour, l’un par les pieds, l’autre par la tête ; la foule s’ouvrit devant eux pour leur donner passage, et se resserra bientôt plus pressée pour voir le cadavre qu’ils avaient déposé sur le sable devant Fetoum. C’était un homme de race, tout-à-fait blanc ; la lance d’Ould-Biska l’avait frappé dans le dos et était sortie par la poitrine.

« Fetoum immobile, mais les lèvres contractées, le regardait avidement.

« — Ould-Biska, dit-elle, je suis à toi comme je l’ai promis, mais prends ton poignard, finis d’ouvrir le corps du maudit, arraches-en le cœur et jette-le à nos lévriers. — Et il fut fait comme elle avait ordonné ; les chiens des Touareug ont mangé le cœur du chef des Chambas. »

C’est à l’aide des chameaux nommés maharis que les Touareug accomplissent ces admirables coups de main ; car, dit le proverbe :

Les richesses des gens du Tell, ce sont les grains,
Les richesses du Saharien, ce sont les moutons,
Les richesses des Touareug, ce sont les maharis.

« Le mahari[1] est beaucoup plus svelte dans ses formes que le chameau vulgaire ; il a les oreilles élégantes de la gazelle, la souple encolure de l’autruche, le ventre évidé du lévrier ; sa tête est sèche et gracieusement attachée à son cou ; ses yeux sont noirs et saillans ; ses lèvres, longues et fermes, cachent bien ses dents ; sa bosse est petite, mais la partie de sa poitrine qui doit porter à terre lorsqu’il s’accroupit est forte et protubérante ; le tronçon de sa queue est court ; ses membres, très secs dans leur partie inférieure, sont bien fournis de muscles à partir du jarret et du genou jusqu’au tronc, et la face plantaire de ses pieds n’est point large et n’est point empâtée ; enfin, ses crins sont rares sur l’encolure, et ses poils, toujours fauves, sont fins comme ceux de la gerboise. »

Le mahari supporte mieux que le chameau la faim et la soif. Le chameau crie à la douleur ; plus courageux, le mahari ne la trahit jamais et ne dénonce point à l’ennemi l’embuscade ; aussi la naissance et l’éducation de ces précieux animaux est-elle entourée des plus grands soins. Le jeune mahari a sa place dans la tente, les enfans jouent avec lui, il est de la famille ; l’habitude et la reconnaissance l’attachent à ses maîtres, dans lesquels il voit des amis. Au printemps, on coupe tous ses poils, et, de cette circonstance, il prend le nom de bouketaa (père du coupement). Pendant toute une année, il est libre et ne quitte qu’au printemps suivant, lorsqu’on le sèvre, le nom de bouketaa pour prendre celui de heug[2]. C’est alors que son éducation commence. On lui met

  1. Dans une course dans le sud, j’ai vu des maharis, et j’ai pu ainsi vérifier moi-même l’exactitude de cette description.
  2. Du verbe hakeuk : il a reconnu, il s’est assuré ; ce qui veut dire que le mahari de deux ans commence à être raisonnable.