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le partage de la pologne.

minait l’ancien colosse, l’Europe prenait sa décrépitude pour une vieillesse encore vigoureuse, sa mortelle léthargie pour un léger sommeil ; mais cette illusion n’était point partagée à Constantinople. Seule, la cour ottomane connaissait le mal dont elle était atteinte. Le commandeur des croyans laissait tomber un morne regard sur ses anciens drapeaux, sur les vieilles dépouilles de la Hongrie et de l’Autriche ; il contemplait avec l’indifférence du fanatisme ses forteresses démantelées, ses arsenaux remplis de toute sorte d’armes hors d’usage ; il se voyait sans artillerie, sans marine, pressé entre la nécessité de secouer le joug ancien, des janissaires et l’impossibilité de les détruire, surtout de les remplacer, et, cachant au plus profond de sa conscience l’aveu de sa faiblesse, plus prudent que ses prétendus amis qui le poussaient à des démonstrations dangereuses, il faisait consister sa sagesse dans le silence et son orgueil dans l’inaction.

Pousser les Turcs contre la Russie, c’était apprendre ses forces à cette puissance, considération qui n’aurait pas dû échapper à nos hommes d’état. Mal informés, ils s’efforcèrent d’arracher au grand-seigneur une protestation contre l’entrée des troupes de Catherine en Pologne. Leurs tentatives furent repoussées par la situation générale de la Porte et surtout par le caractère du souverain qui la gouvernait alors. Le sultan Mustafa avait été captif pendant vingt-sept ans après la déposition de son père Achmet. Il passait dans la solitude une disposition d’esprit grave, mélancolique et timide. Le luxe lui répugnait ; il poussait l’épargne jusqu’à l’avarice. Plongé dans une vie méditative et mystique, Mustafa ne se montrait au peuple que pour se rendre à la mosquée ; il avait supprimé tous les jeux publics, même le djérid, plaisir militaire et national. Le sien était de contempler les astres, tantôt pour y chercher sa destinée, tantôt pour connaître leur nature, l’ordre de leur marche et la mesure de leur distance ; quelquefois même il s’enfermait dans le réduit le plus secret du sérail pour étudier l’anatomie humaine, curiosité sévèrement interdite aux vrais croyans. Ainsi, par son éducation superstitieuse, Mustafa se rapprochait du vulgaire des musulmans ; mais, par la direction judicieuse et sobre de son intelligence, il s’élevait au-dessus de sa nation.

Il y avait alors parmi les Osmanlis un personnage plus singulier que le sultan et ses vizirs, qui se succédaient sans cesse, sans laisser de trace : c’était Krim-Guéray, le kan des Tartares. Trop vanté par Rulhière, qui en a fait une figure de fantaisie, recherché, courtisé par le roi de Prusse, Krim-Guéray rompit plus tard avec Frédéric, et obtint les bonnes graces de la cour de France par son zèle pour la Pologne son aversion pour la Russie, surtout par le charlatanisme de ses promesses et l’étalage de son génie civilisateur. Au milieu de ses