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réponde de l’exercice de la justice. Un juge d’instruction ne pourra plus faire un seul acte de procédure sans que le ministre ne soit pour cet acte apostrophé à la tribune. Ayez avec cette manière d’administrer des tribunaux, des magistrats, une justice ! — Mais le gendre a été traîné à pied de Guéret à Lyon : que le ministre réponde ! Et sur ce point le ministre a répondu que le gendre voulait aller à pied, se targuant de son titre de prolétaire, mais ne s’en targuant que dans les villes et quand il espérait faire quelque sensation. Une fois dans la campagne, et quand il n’y avait plus de parterre à espérer, le gendre prolétaire trouvait fort commode de monter en voiture. Que dites-vous de cette hypocrisie de prolétariat ? Et ce n’est pas seulement à Guéret qu’il y a de faux prolétaires. Nous ne voulons parler du procès de Versailles que lorsqu’il sera fini ; mais nous nous souvenons qu’un témoin déclarait que, dans la journée du 13 juin, il voyait des jeunes gens ayant à la fois la blouse d’ouvrir et des bottes vernies. La blouse devenant le costume de la sédition, les montagnards de la bourgeoisie la prennent par un calcul détestable, et la classe ouvrière se trouve égarée et séduite d’abord, abandonnée ensuite par de faux ouvriers.

La montagne ne respecte pas plus les justes prérogatives de l’administration que celles de la justice. On ne peut plus ni arrêter un prévenu ni nommer un préfet sans la permission de la montagne. Voilà comme elle entend le gouvernement du pays, quand ce n’est pas elle qui l’exerce ; car, lorsqu’elle l’exerce, elle ne souffre pas que personne réclame, et elle donne à ses commissaires des pouvoirs illimités !

Est-ce par une sorte de routine rancuneuse que nous parlons ainsi de la montagne, de son langage et de ses procédés de gouvernement et d’administration ? Non. C’est que nous voulons que tout le monde voie bien et sache bien quel est le gouvernement qui nous menace, si nous perdons par notre faute celui que nous avons. Nous ne sommes pas suspects de prédilection à l’endroit du gouvernement que nous a donné la constitution de 1848 ; nous ne le trouvons pas bon. Nous trouvons par exemple que la présidence est à trop courteéchéance, qu’en faisant le président non rééligible, nous décourageons les efforts et le mérite du premier représentant de la république ; qu’en lui allouant 600,000 francs de liste civile et en lui demandant une représentation quasi royale, nous établissons entre nos lois, qui sont démocratiques à l’excès, et nos mœurs, qui sont restées monarchiques, une de ces contradictions malheureuses qui perdent les états : gens singuliers en effet, qui le matin, quand ils font des lois, veulent avoir des Cincinnatus, et le soir veulent que Cincinnatus se change en Lucullus ! Voilà quelques-uns de nos doutes sur l’excellence de notre gouvernement. Cependant, pour un gouvernement comme pour un ministère, avant d’en changer, la grande affaire est toujours de savoir ce que peut coûter un changement. Nous devrions bien en effet être corrigés de la manie des alea jacta est. Le mot a réussi une fois à César, parce qu’il était César ; il n’a guère réussi de nos jours aux imitateurs, et il y a je ne sais combien de corbeaux qui se sont empêtrés dans la toison des agneaux, que l’aigle seule peut enlever dans les cieux.

Quant au gouvernement, entendons-nous. Il ne s’agit pas seulement, nous l’espérons, de changer les titres et les mots ; il s’agit de créer un pouvoir, un