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gouvernement, et qu’un nouvel envoyé va partir pour signifier au gouverneur de Buenos-Ayres notre refus de ratifier la convention de paix signée au mois de mai dernier par M. le contre-amiral Le Prédour, plénipotentiaire de la France. N’est-il donc aucun moyen d’exposer nettement, sincèrement, l’état des choses ; de présenter les prétentions et les droits de chacun en ôtant aux débats leur passion à la discussion son acrimonie ; de mettre enfin tous les esprits de bonne foi en mesure de se prononcer avec connaissance de cause dans cette question qui chaque jour semble s’envelopper de ténèbres nouvelles ?

Nos démêlés avec Buenos-Ayres se rattachent à deux périodes différentes, dont chacune offre un caractère marqué, une phase distincte de l’affaire : l’une s’arrête au traité signé par l’amiral de Mackau le 29 octobre 1840 ; l’autre commence en 1842, il s’agit de savoir si nous sommes arrivés aujourd’hui à une conclusion. Dans la première période, nous exigions des indemnités pour nos compatriotes lésés, nous demandions réparation des insultes qui leur avaient été faites ; dans la seconde, nous n’avons ni outrage à venger ni indemnité à réclamer : c’est seulement pour assurer l’indépendance de l’État Oriental que nous intervenons. Notre premier blocus poursuivait un but purement français, et, guidés par les instructions de M. Thiers, nous avons obtenu satisfaction pleine et entière ; le second se fait au bénéfice d’un tiers, et il s’éternise. Cependant ces nuances ne sont pas si bien tranchées, qu’elles ne se fondent un peu l’une dans l’autre : ainsi, pendant la première période, malgré les instructions les plus précises de notre gouvernement, malgré ses injonctions les plus obligatoires, nos agens avaient enchevêtré l’intérêt français et les intérêts de l’État Oriental à ce point, que la plus grande difficulté qu’ait trouvée l’amiral de Mackau pour faire un traité vraiment national a été de les séparer et de donner à chacun son importance relative. La Revue en a rendu compte dans le temps[1]. Aujourd’hui on s’efforce de présenter la cause de la France comme tellement enchaînée au maintien du gouvernement actuel de Montevideo, que notre existence dans la Plata doive périr du même coup qui frapperait ce gouvernement.

Au fond, peu nous importe cependant que les deux rives de la Plata soient sous un même pouvoir, ou obéissent à deux pouvoirs différens. L’intérêt sérieux, réel de la France, c’est que le pays soit gouverné par une autorité sage, protectrice des droits de tous, qui garantisse à notre commerce sa liberté, et à nos nationaux qui vont s’établir dans ces immenses contrées toute sécurité pour leurs personnes et leurs propriétés, sous la seule condition de respecter la loi du pays et de ne pas s’y constituer instigateurs de révolutions. Si la France a garanti l’indépendance de la république de l’Uruguay, c’est par générosité plutôt que par intérêt propre. Pour arriver à identifier à nos yeux la cause de Montevideo avec la nôtre, il a fallu d’un côté présenter le gouvernement actuel de cette ville comme l’expression réelle du pays, ayant pour les Français un penchant de préférence, les appelant dans son sein, leur assurant tous les privilèges des nationaux, en un mot faire luire aux yeux de la France, dans une mirage un peu confus, l’espérance de transformer un jour l’État Oriental en colonie française ; et, d’autre part, peindre le général Rosas comme une espèce

  1. Voyez la livraison du 1er février 1841.