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nient déjà la supériorité de la femme blanche. Il faut les voir dès aujourd’hui, sombres perles des rues, en robes éclatantes, avec des épingles d’or chatoyant dans leur épaisse chevelure, drapant sur leurs épaules un riche crépon de Chine, faisant ondoyer au-dessus de leurs têtes noires une ombrelle de soie blanche brochée à longues franges, les mains serrées dans des gants blancs, les pieds nus, mais le soulier de satin (armoiries de la femme libre) suspendu au poignet ; il faut les voir se prélasser dans leur liberté et leur égalité constitutionnelles ! Jusqu’ici, leur empire ne s’exerce encore que sur la place publique ; bientôt elles feront les délices des soirées du gouvernement, peut-être dans le palais de quelque roi Christophe ou de quelque empereur Faustin. C’est ainsi que l’ombre de Saint-Domingue plane sur toutes nos colonies ; on veut en vain y échapper. La philosophie appellera ce phénomène social l’avènement ou la réhabilitation des classes maudites, la consécration de l’unité des races, et l’univers sera consolé. Quant à la morale de cette société nouvelle, les apôtres de l’humanité trouveront là un vaste champ à cultiver.


V

Nous sommes enchaînés à Bourbon comme Prométhée sur son rocher : voilà, d’un seul trait, notre attitude dans l’Océan indien ; mais qu’il soit bien constaté que c’est volontairement, de propos délibéré, que la France, héritière de Louis XIV souveraine titulaire de Madagascar, se condamne elle-même à cette condition d’impuissance. Quand on pense qu’avec les forces de terre et de mer que nous entretenons dans ces parages sans but sérieux, sans effet utile, il eût suffi d’un homme doué de l’ame qui inspira Fernand Cortez, d’un chef tel qu’on en trouverait dans les rangs de notre armée, trempé aux combats et capable d’autre chose encore que d’un coup de main ou d’une action d’éclat, pour substituer la domination française à la domination hôva, pour conquérir à la France une île aussi riche, aussi fertile que Java, un autre Saint-Domingue enfin, on reste surpris et l’on ne qu’admirer le plus ou du désintéressement de notre pays, ou de son indifférence pour tout empire lointain et pour la grandeur maritime qui en résulterait. Mais il faudrait conquérir en Romains, comme font les Anglais dans l’Inde, les Tartares-Mantchoux dans le vaste empire de la Chine, les Hollandais dans les îles de la Sonde ; il faudrait respecter les nationalités et les lois des peuples conquis, leur laisser leur religion, leurs mœurs, leurs coutumes, leurs usages, se contenter de dominer politiquement et militairement. Nous voulons malheureusement, non pas conquérir, mais vaincre pour le triomphe