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était blond. Ensuite, pourquoi un maître d’armes ? Parce que le personnage porte la main à la garde de son épée ? — Belle raison ! — Or, je crains fort que, dans cette toile, il n’y ait pas plus de Raphaël que de maître d’armes, et, à en juger par les portraits connus et authentiques de Marc-Antoine Raimondi, l’élève, l’ami, le graveur de Raphaël, ce Sanzio pourrait bien n’être en définitive qu’un Marc-Antoine. Le vrai portrait de Raphaël se retrouve cependant de sa main dans plusieurs de ses grandes fresques, toujours à côté du Pérugin, notamment dans l’École d’Athènes, à droite du spectateur, à l’extrémité de cette page immortelle qui n’a jamais été égalée. Il rachetait, par les graces de l’expression, des manières et du langage, ce qui lui manquait de l’exquise beauté que lui attribue la tradition ; car enfin, ses portraits en font foi, il n’était nullement le plus beau des hommes, à moins qu’on n’oublie son nez trop fort, sa lèvre hors de ligne, son cou grêle et long, son teint olivâtre, sa taille un peu courte. Malgré ces faits matériels, qu’il est à la portée de tout le monde de vérifier, Raphaël n’en demeurera pas moins un Adonis, parce qu’il est des choses qui, une fois dites, se répètent sans cesse et sont vraies à force d’avoir vieilli. Notre esprit, aussi paresseux à désapprendre qu’à apprendre, trouve son compte à des types tout faits.

Jugez du Pérugin par ses sujets d’affection par ses vierges si délicates, si belles, si célestes, et dont un sentiment profondément chrétien semble avoir inspiré la création : votre jugement sera une erreur. Le laid Perugino, égoïste, bilieux, avare, prêteur exigeant à la petite semaine, n’avait jamais pu, au rapport de Vasari, faire entrer dans sa tête de porphyre la croyance à l’immortalité de l’ame. Les arts et les lettres nous fourniraient matière à bien d’autres déceptions. N’en éprouve-t-on point une devant le tableau de Raphaël de la galerie Barberini, représentant à mi-corps et demi-nue la célèbre Fornarina ? C’est la beauté, c’est la grandeur des traits, mais je ne sais quelle âpreté transtévérine en exclut la grace. La tribune de Florence se vante de posséder aussi sa Fornarina par Raphaël ; mais, à coup sûr, ce n’est point la vraie boulangère qui fut si long-temps la maîtresse et le modèle de Sanzio qu’il a introduite dans la grande fresque d’Héliodore, dans le Parnasse sous le nom de Clio, dans la Transfiguration sous la figure de la femme agenouillée qui tourne la tête. C’est un type désormais connu, et le musée du Louvre possède de la main de Raphaël, d’après cette femme, deux dessins à la sanguine d’une puissance incomparable et qui reproduisent sans conteste les traits de la Fornarina des Barberins, de laquelle Giulio Romano a donné une répétition. Que de discussion n’a point soulevées en Italie l’authenticité des deux portraits de Florence et de Rome ! On s’est entendu enfin sur ce dernier, et désormais il est approuvé avec paraphe. Quant au portrait de la tribune de Florence, des critiques français et italiens l’ôtent même à Raphaël pour le donner au Giorgione : on n’est guère d’accord que pour nier qu’il représente la Fornarina. La dernière guerre d’Italie a seule pu tarir les flots d’encre qui couleraient encore sur cette question nationale des deux côtés des Apennins. Au vrai, cette riche peinture est-elle une œuvre de Raphaël ? La date de 1512, inscrite au bas du portrait, ferait sans discussion perdre sa cause au Giorgione, mort l’année d’auparavant, n’était qu’on a reconnu que ce millésime est une interpolation de date assez récente, introduite par la rage d’avoir raison. Voilà pourtant