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Il s’ensuivait ainsi que les émaux de Petitot, pour différer en un trait caractéristique de la Sainte Françoise de Mignard, n’en seraient pas moins corrects. Là, c’est la jeunesse ; ici, l’âge mûr. Quand bien même Petitot, si exact, si parfait d’ordinaire, aurait menti cette fois à son modèle, ce que je ne saurais admettre d’ailleurs que sur preuves irrécusables, quel est l’artiste qui lui jetterais la première pierre ? Quel est l’artiste, parmi ceux même dont les œuvres pourraient prétendre aux suprêmes honneurs d’une tribune de musée, qui ait toujours étroitement ajusté et serré son style sur la vérité nue, qui n’ait pas, un jour en sa vie, cédé aux séductions de cette fée décevante qu’on appelle la mode ? N’en a-t-il pas subi le prestige souverain, cet admirable Prud’hon qui a peint le portrait de Mme Jars, depuis Mme Elleviou, exposé au musée du Louvre, et qui le dispute aux plus belles œuvres de tous les temps ? N’a-t-il pas lui-même sacrifié à l’idole, le grand Rubens, Rubens étincelant, radieux, opulent, saturé de lumière, qui a poussé jusqu’à l’abus les facultés les plus prodigieuses ? Chez lui, toujours pareille carnation, toujours la nature du Nord, et son pinceau transfigure l’italienne Marie de Médicis en florissante beauté d’Anvers.

Non, depuis les immortels chefs-d’œuvre des maîtres de l’Italie, de l’Espagne et des Flandres, jusqu’aux œuvres des martyrs de l’école de David, il n’est que trois ou quatre hommes privilégiés, Raphaël en tête, qui, dans leurs portraits aient été assez robustes pour ne jamais fléchir devant la mode et la manière, pour avoir constamment trouvé dans le simple la puissance secrète de rendu, la vérité de nature variable et fugitive, cette diversité de physionomie et de carnation de race, de climat, d’individu, unie à une fleur ineffable de sentiment et d’idéal. D’idéal, disons-nous : une chose, en effet, qui n’est pas assez remarquée des gens du monde, c’est qu’on peut introduire de l’idéal dans le portrait, et ne point prendre pour cela de licence avec la vérité et l’exactitude. Il a chez le Titien, chez Vélasquez, qui, en énergique vérité, n’est inférieur à personne, chez Rembrandt, chez le Poussin, chez Van Dyck dans ses ouvrages étudiés, chez son maître Rubens en dépit de ses éblouissantes licences, et encore plus chez Raphaël, un je ne sais quoi qui saisit fortement, qui élève le spectateur sans cependant nuire au naturel ni exclure la naïveté, mais sans non plus les supposer toujours ; c’est le caractère, c’est un grand style, une sorte de cachet magistral imprimé à l’ouvrage, qui émeut les organisation sensibles à la peinture, indépendamment des mérites vulgaires du portrait. Hlolbein, si fin qu’il en est sec, est d’une élévation qui remplit l’ame de grandeur, quand on regarde ses têtes si vraies, si vivantes et à la fois si nobles, malgré les traits les plus communs. Voilà le vrai génie de la peinture, et, si le portrait m’avait jamais été peint que par de tels maîtres, la critique iconologique deviendrait, à certains égards, à peu près inutile. L’histoire des apocryphes de la peinture prouve, on le voit surabondamment, que la haute perfection de l’art et la fidélité historique marchent toujours d’accord, et qu’en dernier résultat, là où le beau se rencontre, la vérité n’est jamais loin.


F. FEUILLET DE CONCHES.

ERRATUM

Article les Apocryphes de la peinture de portrait, page 652, ligne 11, au lieu de : « de Mme Jars, maintenant Mme Elleviou, » lisez : Mme Jarre, veuve d’un amateur des beaux-arts, ami particulier de Prud’hon.