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de rêverie. Elle aimait l’émotion pour l’émotion, la vie pour la vie. Ses grands airs de race, la pétulance de ses allures, la virilité de son esprit, faisaient un charmant contraste avec la faiblesse toute féminine, la grace modeste, la douceur résignée de la pauvre Lina. Shirley et Caroline furent inséparables. Ensemble, elles couraient les champs, ensemble, elles discutaient les points les plus délicats de la poétique et de la politique des jeunes filles ; ensemble, elles conduisaient les petites affaires de charité de la paroisse de Briarmains, sans épargner les malices aux trois curés comiques dont nous avons parlé. Il y eut une nouvelle révolte d’ouvriers ; ils attaquèrent dans la nuit la fabrique de Moore. Cette fois, Robert était sur ses gardes ; des soldats défendirent la manufacture. Les deux amies assistèrent avec le même courage, presque avec la même anxiété, à la sanglante bataille. Caroline revit Moore ; ce fut pour son malheur. À côté des empressemens de Moore auprès de Shirley, elle se vit négligée. Moore suivait le conseil d’Yorke il faisait la chasse à l’héritière. Caroline le crut aimé de Shirley. Elle fut malade à mourir.

Caroline fut sauvée par sa mère qu’elle retrouva, une de ces ames faibles, bonnes, caressantes, que la longue habitude de l’oppression et du malheur ne fait, pour ainsi dire, que fondre en tendresse. L’analyse peut à peine indiquer une figure aussi délicatement tracée que celle de mistriss Pryor, la mère de Caroline. J’aurais voulu trouver à cet endroit du roman une scène assez complète et assez détachée pour la transporter ici. Mistriss Prror avait été gouvernante de Shirley ; elle était venue à sa suite à Briarmains. La timidité, la peur de souffrir, que les longues souffrances laissent chez ces caractères endoloris, avaient empêché mistriss Pryor de se réunir plus tôt à sa fille. Elle craignait de revoir dans son enfant l’ame de l’homme qui avait si profondément ravagé sa vie. Ce n’est pas la seule personne que Shirley introduise dans le cercle de Briarmains ; la famille Sympson arrive bien tôt Avec les Sympson est Louis Moore.

Parmi tout ce monde se présentent plusieurs prétendans à la main de Shirley : elle les refuse. L’oncle Sympson, homme d’une haute respectabilité qui a le culte superlatif des convenances, est scandalisé de la légèreté avec laquelle Shirley éconduit les partis les plus considérables et les plus honorables. Ce qui le fâche, c’est que Robert Moore passe dans l’endroit pour le prétendant préféré. Il a sur ce point une explication avec sa nièce, qui lui répond de la façon qu’on va voir.

« — Refusé, lui ! Vous, vous, Shirley Keeldar, vous avez refusé sir Philip Nunnely ?

« — Je l’ai refusé.

« — Le pauvre gentleman bondit sur sa chaise, se mit à courir, puis à trotter dans la chambre.