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genre de poésie qu’ont mis en honneur les poètes populaires de notre siècle, écrit-il, exercera toujours, une grande fascination sur les lecteurs jeunes, mais je ne puis partager l’opinion de ceux qui voudraient le placer au faîte de l’art. Ce qui caractérisait ces poètes, c’était une grande impressionnabilité et une ardeur passionnée, la profusion des images, la force et la beauté du langage, le tout enveloppé d’une versification particulièrement adroite, particulièrement coulante et pleine de cette espèce de mélodie qui, par ses cadences bien prononcées et faciles, à prévoir, séduit essentiellement les oreilles peu exercées ;… mais où ils ne regardaient pas l’humanité avec des yeux d’observateurs où ils ne considéraient pas comme une partie de leur rôle de mettre à profit ce qu’ils voyaient. Dans leurs idées, la mission de la poésie n’était pas de parcourir les dédales de la vie dans toutes ses catégories et dans toutes ses circonstances vulgaires ou romanesques pour remarquer toute chose, induire et instruire. Au contraire, la mission qu’ils lui donnaient était de se tenir bien loin de tout ce qui est palpable et vrai, de peu s’inquiéter de tout ce qui est rationnel et sage. De fait, presque tous ces écrivains avaient adopté un diapason de langage qui est à peine conciliable avec l’état d’esprit dans lequel un homme peut faire usage de son entendement. » — « Et cependant, ajoute plus loin M. Taylor à la suite de ses remarques sur Byron, on ne saurait dire que rien de mieux ou même d’aussi bien ait paru depuis lors. La poésie du jour ne consiste qu’en une diction poétique, un arrangement de mots indiquant une excitation ou une excitabilité intérieure ; elle s’adresse non aux facultés perceptives, mais aux sensations, et elle se borne à peu près à typifier certains sentimens qu’un être entièrement dénué d’intelligence pourrait éprouver avec une égale intensité… Quant aux disciples de Shelley, ils voudraient transporter le domicile de l’art dans des régions où la raison, loin d’avoir aucune suprématie, n’est qu’une étrangère et une proscrite. Chez eux, il y a comme une idée fixe que nul phénomène ne peut être parfaitement poétique avant d’avoir été décomposé et recomposé de telle sorte qu’il n’apparaisse plus que comme une vision. »

Tant, s’en faut cependant que M. Taylor veuille condamner la poésie à n’être que la science de mettre en vers les interprétations du jugement. « Le poète, répète-t-il, ne saurait avoir trop d’imagination. » Pour compléter sa pensée, on pourrait dire que le génie poétique, à ses yeux, est l’équilibre harmonieux de toutes les facultés, l’état moral de l’homme posé, chez qui l’imagination, et le tempérament passionné ont pour contre-poids la science et le besoin d’observer, et qui, sans s’éprendre follement d’un côté des choses, sans se laisser étourdiment emporter par aucun instinct désordonné, épanche en rhythmes variés, comme la vie, les émotions multiples que causent à une ame impressionnable les perceptions d’un esprit pénétrant et curieux.

Il est bon de le dire tout de suite ; M. Taylor ne s’est pas uniquement adonné à la poésie. Sous le titre de Notes d’après nature et d’Impressions de lecture, il a dernièrement publié deux volumes qui attestent une intelligence habituée à porter de tous côtés sa curiosité et son attention. D’ailleurs, il a pris sa part d’existence positive : il occupe ou a occupé du moins une place dans l’administration, et, en pratiquant ainsi les affaires, il a recueilli les matériaux d’un remarquable traité sur l’homme d’état[1]. L’avant-propos de ce catéchisme administratif

  1. M. Taylor a encore publié un petit volume de poésies, the Eve of the Conquest.