Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/869

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venait ajouter aux autres causes de mécompte sur les estimations des travaux de l’état. Le vice n’était donc pas dans le montant des sommes votées, mais dans la répartition, et ce vice, il faut le reconnaître, est et restera difficile à éviter sous le régime représentatif et avec la participation nécessaire du parlement dans la distribution des subsides publics entre les différentes parties du territoire. Nous verrons si la république y échappera, et si les représentans du peuple, avec plus de puissance et d’autorité que les députés de la monarchie, apporteront moins de sollicitude dans la discussion des intérêts spéciaux de leurs départemens.

Quoi qu’il en soit, cette multiplicité des ateliers ouverts et entretenus par l’état offrait un grand avantage au gouvernement provisoire : il pouvait y porter la plus grande partie des ouvriers que la cessation des travaux privés laissait sans ouvrage ; il avait là un moyen tout prêt de débarrasser la capitale, non pas des fauteurs de troubles, qui, à aucun prix, n’eussent voulu quitter Paris livré à leur discrétion, mais du moins de cette masse d’hommes faciles à compromettre et à égarer, que tout gouvernement doit, dans tous les temps et surtout aux époques de crise, entourer de sa sollicitude et soustraire aux entraînemens de l’agitation et du désordre. C’était, je dois le dire, la première pensée du ministre des travaux publics du gouvernement provisoire ; malheureusement les propositions qui furent faites dans ce sens restèrent sans résultat. C’est qu’on ne fait pas une révolution pour appliquer ses idées, mais bien pour obéir aux caprices, aux emportemens et aux violences des perturbateurs, qui s’arrogent le droit de parler au nom du peuple, et pour subir le joug pesant des instrumens mêmes de son propre triomphe.

Une autre circonstance venait en aide au gouvernement provisoire. Les ateliers des travaux publics étaient, pour une grande partie, peuplés par des ouvriers étrangers. Sous le gouvernement de juillet, nos populations ouvrières n’avaient pas pu suffire aux progrès rapides de l’activité industrielle et commerciale et au développement simultané d’un si grand nombre d’entreprises d’intérêt général ou d’utilité commune. On voyait, dans nos départemens de l’est et du nord, par exemple, des chantiers où l’on comptait plus d’étrangers (Anglais, Irlandais, Belges, Allemand, Piémontais) que de Français. On comprend l’aisance que ces nouveaux consommateurs répandaient dans nos campagnes, et l’encouragement direct et efficace qu’y trouvait le travail agricole, lorsque, d’ailleurs, nulle part en France le salaire ne manquait au travailleur. En 1848, les circonstances avaient complètement changé. « La question posée, disait le ministre des travaux publics dans sa circulaire du 16 mars, est celle-ci : les ouvriers français seront-ils exclusivement employés dans les ateliers ? Dans des temps meilleurs, et si les industries particulières ne se fermaient pas devant les travailleurs, cette question ne devrait pas même être soulevée : la république n’entend pas, en effet, renfermer dans ses frontières le dogme de la fraternité qu’elle a proclamé ; mais dans les temps actuels, et quand nos ouvriers manquent eux-mêmes de travail, il en est autrement : avant tout, la république se doit à ses enfans. » Le ministre invitait donc les ingénieurs à veiller à ce que les ouvriers français fussent employés, dans les ateliers de l’état, de préférence aux ouvriers étrangers : ce fut le signal de l’expulsion de ces derniers. La mesure, si rigoureuse qu’elle fût, était évidemment commandée