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pathétique, cette victorieuse lutte de la passion et du dévouement dans un noble cœur. C’est là aussi malheureusement que doivent s’arrêter nos concessions.

Nous savons bien que l’art n’est pas l’orthodoxie, et qu’à moins d’abdiquer ou de s’amoindrir, il ne saurait se plier toujours aux lois d’une morale rigoriste. Cependant n’y a-t-il pas dans la morale des notions d’un ordre assez élevé, assez absolu, pour que ce qui les froisse ne puisse plus nous être offert comme un idéal d’héroïsme et de vertu ? Les amis de M. Dumas dans leurs prédictions complaisantes, et M. Dumas lui-même dans une préface que lui a dictée son mauvais génie, nous annonçaient que le comte Hermann était sur Antony corrigé, un d’Alvimar converti, que le spiritualisme le plus pur, le plus chrétien, ressortirait de l’ensemble et de la conclusion du drame Nous y voyons, au contraire, dominer ce fatalisme emporté qui a été la muse de M. Dumas jusque dans ses meilleurs ouvrages. Il ne suffit pas, pour qu’un personnage nous soit donné comme type de l’esprit religieux et chevaleresque des temps passés, qu’il abuse d’une phraséologie mystique, où le nom de Dieu revient sans cesse, pas plus qu’il ne suffit, pour que nous acceptions Marie de Staubach comme une angélique créature, qu’elle invoque à tout propos les anges et les séraphins. Le suicide d’Hermann rompt l’harmonie et dément l’héroïsme chrétien de ce rôle. Nous comprenons très bien qu’au troisième acte, croyant n’avoir plus que quelques jours à vivre, il marie d’avance son neveu Karl à la femme qu’il aime. Là, rien ne ternit le sacrifice ; l’ame, purifiée par les approches de la mort, brise ses entraves mondaines, et prélude à sa liberté céleste en se dépouillant de tout sentiment trop humain ; mais nous ne comprenons pas qu’Hermann, revenu à la vie et à la santé, croie pouvoir réunir, en se tuant, les deux amans que le devoir sépare. Et remarquez que ce moyen ne satisfait personne, et ne résout rien. Le spectateur ne peut pas admettre que Karl et Marie, unis au comte Hermann par mille liens d’affection et de reconnaissance, osent, même quelques années plus tard, goûter un bonheur acheté si cher, s’exposer à retrouver, jusque dans les baisers de leurs lèvres, la trace du poison qui a brisé une si noble vie. Comment M. Dumas, si habile à agencer, à accidenter un drame, n’a-t-il pas trouvé moyen d’adoucir ce dénoûment, d’épargner au comte Hermann un suicide, en jetant, par exemple, plus d’intérêt sur le rôle de Franz, le frère de Marie, en donnant à Marie une affection plus vive pour ce frère, et en amenant, par des combinaisons dont son habileté dispose, le comte Hermann à remplacer Franz dans un duel dont l’auteur nous laisse ignorer les suites ? Ce double dévouement, cette manière de rendre le frère à la sœur, en réunissant l’amante à l’amant, ne seraient-ils pas préférables ? N’ennobliraient-ils pas davantage le caractère du comte ? Non, rien n’excuse le suicide d’Hermann, amené d’une façon si brutale. Puisque M. Dumas se rencontrait ici avec un des plus beaux romans de George Sand, qui ne passe cependant pas, que nous sachions, pour un moraliste trop rigide, il n’eût pas dû oublié que Jacques, quand il renonce à lutter contre des déceptions qu’il a prévues, quand il se résigne à disparaître de ce monde pour cesser d’être un obstacle entre Octave et Fernande, enveloppe du moins d’un voile sa résolution suprême, et qu’en suivant sa trace sur les pics glacés où il va se perdre, le lecteur peut douter encore. Quelle différence entre le vague de ce dénoûment et le poison, du comte Hermann !