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les plus tendres : c’est celui que nous connaissons en France ; les grosses feuilles et même les branches les plus fines sont mises à part, pressées et coagulées dans un moule où elles acquièrent la forme et l’épaisseur des briques de maçonnerie ; ce thé prend le nom de thé tartare ou thé en brique ; la Russie est le seul pays d’Europe qui en consomme. Voici comment les Mongols préparent cette boisson : ils cassent un morceau de leur brique, le pulvérisent et le font bouillir jusqu’à ce que l’eau devienne rougeâtre ; ils jettent alors une poignée de sel, et l’ébullition commence ; dès que le liquide est presque noir, on y ajoute une écuelle de lait, et le moment de boire est venu. Samdadchiemba, comme tous les Tartares, était enthousiaste de cette boisson ; quant aux missionnaires, ils purent s’y habituer, et ce fut tout.

En somme, MM. Huc et Gabet vivaient à peu près comme vivent tous les Tartares mongols et thibétains, surtout dans les pays où la maigreur des pâturages élève le prix de la viande. Si on comprend que ce régime suffise à des hommes dont l’alimentation régulière n’a jamais été plus forte, on s’étonne que des Européens aient pu le supporter si long-temps. Ce n’était là cependant qu’un des points par où ils violaient toutes les lois de l’hygiène. Non-seulement ils mangeaient mal et dormaient peu, mais ils étaient encore soumis à des variations de température autrement tranchées que celles dont la médecine prescrit, sous peine de mort, de se préserver. Je citerai un fait entre cent. Les missionnaires cheminaient péniblement au milieu du désert sablonneux et aride du pays des Ortous ; la sueur ruisselait de leurs fronts, car la chaleur était étouffante ; ils se sentaient écrasés par la pesanteur de l’atmosphère, et leurs chameaux, le cou tendu, la bouche entr’ouverte, cherchaient vainement dans l’air un peu de fraîcheur. Un orage s’approchait ; ils songèrent à dresser quelque part leur tente, à trouver un abri. Où aller ? C’était en vain qu’ils montaient sur les collines pour découvrir quelque habitation tartare ; des renards regagnant en toute hâte leurs tanières et des troupeaux de chèvres jaunes courant se cacher dans les gorges des montagnes troublaient seuls la morne solitude du désert. Bientôt le vent du nord vint souffler avec violence, et l’orage éclata. D’abord, il tomba de la pluie, puis de la grêle, puis enfin de la neige à moitié fondue. En un instant, les voyageurs furent trempés jusqu’à la peau et se sentirent gagner par un froid glacial. Ils mirent pied à terre dans l’espoir de se réchauffer un peu par la marche ; mais, après avoir fait quelques pas au milieu de sables inondés où leurs jambes s’enfonçaient comme dans du mortier, ils durent s’arrêter ; ils cherchèrent alors un abri à côté de leurs chameaux, contre lesquels ils se serrèrent fortement, espérant que ces animaux leur communiqueraient un peu de chaleur. Dresser la tente était impossible ; l’eau ruisselait de toutes parts, et d’ailleurs les toiles ne pouvaient