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la plus élémentaire des libertés, celle qui consiste à faire son métier soi-même ? Que le gouvernement, si ses agens extérieurs lui envoient des renseignemens inconnus sur la culture du lin, ou lui signalent une espèce particulière de ver à soie, transmette au public ces informations ; qu’il donne ordre à ses ambassadeurs et à ses consuls de faciliter les citoyens français qui iraient s’enquérir de ces nouveautés à l’étranger, aux commandans de ses stations navales, s’il s’agit de pays lointains, de les assister, rien de mieux ; qu’il contribue des deniers des contribuables à fonder quelques prix, c’est-à-dire des récompenses principalement honorifiques, pour les solennités agricoles, passe encore ; seulement il sera permis de penser qu’il était superflu d’en faire délibérer un nombreux conseil général composé d’hommes sérieux, tous justement impatiens de retourner à leurs affaires. Mais ériger de pareils détails en affaires d’état, mais imposer à l’état, qui a déjà assez de soucis, la responsabilité des méthodes employées par les particuliers pour la culture du lin, ou celle de choisir la graine des vers à soie, c’est se méprendre et c’est égarer l’opinion ; mais concevoir le dessein de provoquer le perfectionnement des races de bétail par le moyen de faveurs pécuniaires distribuées çà et là, et y consacrer l’argent péniblement fourni par les contribuables, c’est abusif. La récompense des efforts intelligens des agriculteurs comme celle des hommes de toute autre profession est dans le prix qu’ils retirent de leurs produits ; si, par-delà cette rémunération naturelle, ils doivent être payés par l’état, je ne vois pas pourquoi des primes tirées du trésor public ne seraient pas décernées de même aux fabricans de toute espèce qui fabriquent bien, aux médecins qui guérissent leurs malades, aux avocats qui gagnent leurs procès, aux peintres qui font de bons tableaux, aux ouvriers qui gagnent les meilleurs salaires en forgeant, en tissant, en filant. Avec ce système, l’état videra sa bourse, c’est-à-dire celle des contribuables, dans la main des hommes qui réussissent. Il la videra aussi dans la main de ceux qui ne réussissent pas, parce qu’ils s’adresseront à lui en lui dépeignant leur détresse, comme à la mère commune, l’alma mater. De proche en proche, on ferait ainsi de nous une société où tout le monde serait pensionnaire de l’état, où personne ne voudrait plus porter le fardeau de ses propres besoins, un peuple de mendians et d’esclaves.

On trouve un indice prononcé de cette même tendance dans le projet concernant le crédit foncier. Un homme fort honorable, agriculteur d’une grande expérience, avait préparé en 1848, pendant qu’il était ministre de l’agriculture, une loi en vertu de laquelle une somme de dix millions eût été puisée dans le trésor pour être répartie en avances à l’agriculture. Imposer le public en masse pour fournir des capitaux à une partie de ce même public, c’était étendre outre