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cette époque. En accompagnant le vote fatal d’une réserve dérisoire, les chefs de la gironde avaient porté une atteinte irréparable à leur parti comme à leur considération personnelle, car le pays prit pour un honteux calcul de la peur ce qui n’était pourtant qu’un faux calcul de la politique. Régicides aux yeux des uns, les appelans étaient désormais aux yeux des autres des contre-révolutionnaires atteints et convaincus. Dans la position toute nouvelle que le meurtre de Louis XVI venait de créer à la révolution française, l’attitude des girondins était en effet un péril véritable. Au plus haut paroxysme de la lutte que cette révolution avait cherchée contre l’Europe tout entière, une politique d’ordre légal et de garanties régulières était une niaiserie trop manifeste pour que la haine des partis ne pût pas facilement la transformer en trahison. Si la république des avocats avait si peu de chances de succès avant le 21 janvier, il ne lui en restait aucune en face de l’invasion, alors triomphante, donnant la main à la Vendée victorieuse et le gouvernement n’appartenait plus qu’aux hommes des résolutions désespérées. Il était nécessaire de créer et le comité de salut public et le tribunal révolutionnaire, car un pouvoir rapide comme la foudre et terrible comme elle pouvait seul prévenir les résistances dont on n’était pas assez fort pour triompher, si on les avait laissé naître. En élevant contre ces exigences des objections constitutionnelles, les girondins prouvèrent qu’ils n’avaient pas même soupçonné la portée politique du grand acte dont la conséquence immédiate était la dictature : aussi la majorité à laquelle ils avaient jusqu’alors dicté des lois les délaissa-t-elle sur leurs bancs solitaires, en proie à toutes les angoisses de leurs ames et à toutes les fureurs de leurs ennemis. Lorsqu’ils vinrent demander à l’assemblée, dont ils avaient été si longtemps les chefs et les organes, de conserver du moins dans Paris les bataillons départementaux, qui seuls disputaient encore la vie des appelans aux bandes de l’ivrogne Henriot, et que la convention, passant à l’ordre du jour, prescrivit le départ immédiat de ces bataillons pour la frontière, les girondins durent comprendre que c’en était fait de leur vie comme de leur rôle, et, sans prolonger une lutte désormais inutile, Vergniaud aurait pu, dès cet instant, livrer sa tête à Robespierre, comme Cicéron, à Formies, tendait la gorge sans résistance au glaive des soldats d’Antoine.

Quatre mois après le jour qui avait décidé de leur fortune, lorsque les girondins étaient livrés par leurs collègues aux hordes d’assassins qui assiégeaient l’enceinte législative, quel droit avaient-ils d’attendre que la majorité affrontât la mort pour sauver avec sa propre inviolabilité la vie de ses principaux chefs ? La politique de la convention ne fut-elle pas, au 31 mai et au 2 juin, ce qu’avait été la politique de la gironde au 21 janvier, et, en abandonnant vingt-deux têtes au bourreau