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JACOBUS, lui baisant la main.

La main fraîche, j’en suis sur… le cœur brûlant, je l’espère !… Bonjour, belle dame.

Mme D’ERMEL.

Vous êtes gelé, mon brave homme. Quel temps fait-il donc ce soir ?

JACOBUS.

Un vrai temps de printemps… vent, pluie et grêle. — Avec votre permission. je déposerai ma canne dans cet angle.

Mme D’ERMEL.

Faites. Ne vous refusez donc rien, je vous en prie.

JACOBUS.

Et mon chapeau sur cette console. (En ôtant ses gants.) Étrange empire, ma vieille amie, que celui des habitudes ! Si, durant le cours d’une seule soirée, ma canne reposait autre part que dans cet angle, et mon chapeau ailleurs que sur cette console, je n’aurais plus la liberté de ma pensée.

Mme D’ERMEL.

Tous les astres, docteur, ont des évolutions fixes.

JACOBUS.

Vous en savez quelque chose, ma déesse !… Pardon ! (Il regarde la pendule.) C’est extraordinaire !

Mme D’ERMEL.

Quoi donc ?

JACOBUS.

Votre pendule va bien ?

Mme D’ERMEL.

Comme un ange.

JACOBUS.

Il faut avouer que j’étais construit carrément ! Croiriez-vous que je suis parti de chez moi à sept heures trois, de sorte qu’à soixante-dix ans je me permet de faire en sept minutes un trajet d’un kilomètre ?

Mme D’ERMEL.

Vous êtes un être mystérieux. Les années vous caressent plutôt qu’elle ni tous touchent… Donnez-moi votre tasse, mon jeune ami.

JACOBUS, présentant sa tasse.

Breuvage digne des dieux, — tant par son arôme que par la main qui le verse !…

Mme D’ERMEL.

Sucrez-vous, Jupiter.

JACOBUS, s’accommodant dans un fauteuil et agitant doucement sa cuillère dans sa tasse.

Que le rocher au cœur trois fois bronzé affronte sur son frêle esquif la vague adriatique !… Je suis bien ici quant à moi, et j’y reste. — À propos, ma chère dame, je vais fort vous surprendre. Il y a du nouveau dans Landernau.