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faire tout cela avec 100 000 francs par mois ? Nous sommes un singulier peuple, nous aimons le luxe et la dépense ; mais nous n’aimons pas à payer. Nous nous moquerions tous d’un chef de l’état qui vivrait comme un commis de bureau, nous voulons qu’il vive grandement et en prince ; mais nous ne voulons pas payer les frais du luxe que nous demandons. Alors nommons pour président de la république le plus riche et non pas celui dont le nom a dans le pays le retentissement le plus populaire ; nommons M. de Rothschild, si tant est que M. de Rothschild veuille sacrifier sa fortune honorablement acquise au plaisir d’être le président de la république française. Bizarre manie de l’impossible, qui nous tourmente en toutes choses ! Où donc est ce phénix à la fois populaire et riche à milliards, ce nom connu dans tous les hameaux et cette caisse inépuisable qu’il faut à celui que nous élevons à la première dignité de l’état ? Eh ! Athéniens, si vous aimez les belles processions ou théories, si vous voulez des Panathénées, si vous demandez des feux d’artifice, payez-les ! Peuple aimable, qui veut tout avoir et ne rien dépenser ; un vrai fils de famille quand il demande à ses magistrats d’avoir du luxe, et de faire, comme on dit, aller le commerce ; véritable harpagon quand il s’agit de régler les comptes ; peuple qui ne trouve jamais les programmes assez beaux, et qui trouve toujours les mémoires trop chers ; qui, comme l’avare de Molière enfin, veut que l’on fasse beaucoup de dépense avec peu d’argent.

HARPAGON, à maître Jacques. — Dis-moi un peu, nous feras-tu bonne chère ?

MAÎTRE JACQUES. — Oui, si vous me donnez bien de l’argent.

HARPAGON. — Que diable, toujours de l’argent ! Il semble qu’on n’ait autre chose à dire : de l’argent ! de l’argent ! de l’argent ! Ah ! ils n’ont que ce mot à la bouche : de l’argent ! voilà leur épée de chevet : de l’argent !

VALÈRE. — Je n’ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille de faire bonne chère avec bien de l’argent. C’est une chose la plus aisée du monde, et il n’y a si pauvre esprit qui n’en fit bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d’argent.

MAÎTRE JACQUES. — Bonne chère avec peu d’argent !

VALÈRE. — Oui.

MAÎTRE JACQUES, à Valère. — Par ma foi ! monsieur l’intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret !

Si Valère, en effet, voulait faire voir ce secret à la commission chargée d’examiner le crédit des frais de représentation, il lui rendrait, je crois, un grand service.

Faute de ce secret, le ministère demande donc 250 000 francs par mois de frais de représentation. Y a-t-il là de quoi troubler les esprits de la majorité ? Y a-t-il là de quoi crier à la prodigalité ? Cela excède-t-il l’idée que nous nous faisons d’une représentation princière ? Les membres de la majorité ont vu l’usage que le roi Louis-Philippe faisait de sa liste civile, et la part que les arts, les productions du luxe et le malheur avaient sur cette liste civile. Il avait 12 millions, et il a fait de plus 30 millions de dettes. Qu’est-ce donc pour être, non pas roi, mais président d’une république qui, il y a deux ans encore, était une monarchie, qui n’en a pas perdu les habitudes, et qui même a choisi à dessein un prince pour la présider, — qu’est-ce que 250 000 francs par mois ? Combien