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— Mais cet enfant, dit M. Crémieux, c’est la république française, c’est nous ! — Non ! la France et l’assemblée nationale ne veulent pas que la république procède de M. Crémieux, même comme sage-femme ; elles ne veulent pas être l’enfant dont le premier regard a rencontré la vue de M. Crémieux ; elles veulent dater du 4 mai, c’est-à-dire de l’assemblée constituante, et non du 24 février. — Et que ferai-je de l’enfant que j’ai dans les bras ? dit M. Crémieux à l’assemblée. — Mettez-le par terre, répond Sganarelle à Martine. — Parlons sérieusement. L’assemblée a voulu rompre tout lien avec le fait du 24 février ; nous nous servons à dessein de ce mot, parce que c’est un mot de M. Ledru-Rollin, qui, défendant la conduite qu’il avait tenue dans la journée du 16 avril. 1848, disait à la tribune de l’assemblée constituante que, jusqu’au 4 mai, tout avait été de fait et rien de droit, et que, s’il avait voulu, le 16 avril, changer par un autre fait le fait du 24 février, cela lui était fort licite. Jusqu’au 4 mai, tout a donc été de fait, rien de droit, et il est aussi licite à l’assemblée de répudier le fait du 24 février et les héroïsmes qui s’y rattachent, qu’il était licite à. M. Ledru-Rollin de substituer à ce fait un nouveau fait qui se serait appelé le fait du 16 avril, et qui n’aurait été ni plus légal ni plus légitime que le fait du 24 février.

On voit que nous voulons parler du rejet que l’assemblée a fait du projet de loi destiné à récompenser les héros de février. L’histoire de ce projet de loi est curieuse, elle marque les diverses phases de la convalescence de la conscience publique. Au premier moment, le gouvernement ne doute pas qu’il ne faille récompenser les héros de février. Il y a, en effet, des héros de février, puisque la révolution de février a réussi ; mais quels sont ces héros ? On charge l’un d’eux de faire la liste. La liste se fait, elle arrive à la connaissance de l’assemblée et du public ; mais, parmi ces héros, il y a des repris de justice. -Eh bien ! faites une autre liste. Cependant la conscience publique, éveillée par tant de révélations, s’écrie qu’il ne faut pas récompenser de pareils héros. Les héros alors se transforment en blessés malheureux. — Mais si nous venons au secours des blessés ; il y a eu, dit-on, des blessés des deux côtés. Les gardes municipaux, qui ont défendu la loi et qui ont été blessés en la défendant, valent bien ceux qui ont été blessés en l’attaquant. Pourquoi donner ainsi une prime d’encouragement aux faiseurs de barricades et d’insurrections ? Voulez-vous savoir ce que produisent ces dangereux encouragemens : les graciés de juin, revenus à Paris, ont cru, ces jours derniers, qu’il allait y avoir une nouvelle insurrection qui serait victorieuse, et, se mettant d’avance en mesure de profiter de la victoire, ils se sont fait délivrer des certificats qui attestent qu’ils ont combattu contre la loi au mois de juin 1848, qu’ils ont été transportés, qu’ils ont souffert enfin pour la cause qui, selon eux, va triompher. C’est ainsi, vous le voyez, que récompenser les blessés de février, c’est du même coup absoudre et encourager les insurgés de juin. L’assemblée, en rejetant le projet de loi, a mis fin à cette propagande que la loi faisait contre elle-même.

Nous avons quelque plaisir à dire un mot de la tournure qu’a prise le différend du gouvernement français avec lord Palmerston. Quand la France, blessée du procédé de lord Palmerston, retira son ambassadeur de Londres, tout le monde pensait que lord Normanby allait aussi quitter Paris. Il n’en arien été, Lord Normanby est resté en France, et lord Palmerston lui a recommandé