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Dans leur désir de s’élever, les classes ouvrières eussent été ravies d’exercer dans Paris, pour leur part, une magistrature à laquelle l’ouvrier est appelé par décret impérial depuis 1806, celle des prud’hommes. Les conseils des prud’hommes, par leur composition mixte de chefs d’industrie et d’ouvriers, sont des institutions très recommandables, très utiles, propres même à concourir à la tranquillité de la société. Ils ont dépassé l’attente de leur glorieux fondateur. Il n’en existait pas à Paris, lorsqu’après 14 ! 0 le gouvernement de juillet, sollicité par les chefs d’industrie et par quelques personnes honorables[1], se montra disposé à déférer à ce voeu. Le projet, dès qu’il fut ébruité, causa une grande émotion chez les personnes officieuses qui s’agitaient en se donnant pour les représentans et les gardiens des intérêts de la bourgeoisie. Elles allèrent chez les ministres remontrer que la société était compromise, si les ouvriers de Paris recevaient à un titre quelconque, et avec quelque précaution que ce fût, un droit de suffrage. C’est ainsi que fut retardée pendant quelque temps la constitution des conseils de prud’hommes à Paris. Comment veut-on que les classes ouvrières se croient convenablement et équitablement représentées, si, dans les conseils de la nation, il n’y a place que pour les classes au nom desquelles, sans être désavoués hautement, de prétendus amis de l’ordre public élevaient ces prétentions exclusives ?

Dans le débat entre les classes aisées et les ouvriers, la solution conciliatrice doit être bien moins embarrassante à découvrir que dans le conflit qui éclata, il y a soixante ans, entre la noblesse et le tiers. Les prétentions de la noblesse étaient incompatibles avec celles de l’autre ordre. La noblesse avait des privilèges qu’elle voulait perpétuer, et le tiers-état voulait l’abolition des privilèges de toute espèce, de ceux même qui existaient dans son sein en faveur des corporations d’arts et métiers. Il prit pour devise l’égalité de droits et l’unité de loi, c’était la négation de l’ordre nobiliaire même. Il est vrai que le tiers avait engagé une autre lutte contre la royauté, afin d’obtenir pour tous la liberté, qui n’existait pour personne. La noblesse devait ainsi profiter individuellement des efforts du tiers ; mais, à l’exception d’une minorité, elle n’envisagea pas assez ce que, pour une classe qui était encore nantie de la majeure partie de la richesse, qui avait l’ascendant d’une éducation distinguée, d’un savoir-vivre exquis, cette compensation, mince en apparence, avait de large au fond. Elle s’absorba dans le regret des privilèges dont il fallait se démettre. On sait la fin.

Entre les classes aisées et les ouvriers, il ne s’agit de privilèges à

  1. L’une des personnes qui travaillèrent le plus à éclairer l’opinion et l’autorité sur ce qu’il convenait de faire en cette circonstance fut M. Mollot, actuellement juge au tribunal civil à Paris.