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les jouissances. Ardent, audacieux jusqu’à la témérité, il joue avec le danger et se complaît à le braver. Il n’est jamais mieux inspiré, plus éloquent, plus abondant en images, plus railleur, plus puissant qu’en face du danger. Il ne choisit pas ses paroles, il ne passe pas son temps à les trier, il ne relit pas, comme Robespierre, les plus belles pages de Rousseau pour préparer ses discours ; pour lui, la tribune est un champ de bataille. Il lance ses argumens à la tête de ses ennemis comme un frondeur la pierre qu’il vient de ramasser. Danton semble né pour les révolutions. Il ne cache pas ses vices, il s’en glorifie. Si quelqu’un lui dit qu’il s’est vendu à la cour, il répond hardiment que c’est un marché nul, que la cour ne l’a pas estimé assez haut. Et pourtant, malgré cette misérable jactance, il n’a pas dit un éternel adieu à tous les bons sentimens ; il ne verse pas le sang par cruauté, pour le plaisir de le voir couler. Pour lui, la hache n’est qu’un moyen de supprimer les obstacles : il accepte la hache comme une nécessité ; mais une fois les obstacles supprimés, rendu à sa nature, il combat avec énergie toutes les mesures violentes qui n’ont pas la nécessité pour excuse.

Marat semble frappé de vertige. Il y a dans sa cruauté quelque chose que la haine la plus ardente ne peut expliquer. Quelque aversion qu’on lui suppose pour l’aristocratie, de quelque jalousie qu’il soit animé contre la société tout entière, qui n’a pas voulu reconnaître en lui le rival, le successeur de Newton, il est impossible de trouver dans l’aversion la plus violente, dans la plus implacable jalousie, la clé de cette étrange et sauvage nature. La folie seule, la plus terrible de toutes les folies, peut résoudre le problème. Aussi comprend-on sans peine que le choix de Charlotte Corday se soit arrêté sur Marat.

Il y a dans le drame de M. Ponsard plusieurs scènes faites avec un remarquable bonheur, une incontestable habileté ; mais dans le drame tout entier il n’y a pas trace de composition. On peut louer sans flatterie telle ou telle partie qui se recommande par l’élégance ou l’énergie ; avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de découvrir dans cette œuvre une idée génératrice qui en domine, qui en relie tous les élémens. On dirait que le hasard seul a présidé à la distribution des scènes. Le banquet chez Mme Roland me semble parfaitement inutile, car rien dans la conversation des convives n’annonce la vengeance qui se prépare. L’accueil dédaigneux fait à Danton par les girondins ne suffit pas pour transporter le spectateur dans le domaine tragique, et puis n’y a-t-il pas quelque chose de singulièrement mesquin à mettre en scène des hommes tels que Sieyès et Vergniaud pour leur confier des rôles de comparses ? Le tableau suivant, qu’on peut appeler le tableau des faneuses, n’est à mes yeux, comme le précédent, qu’un véritable hors-d’œuvre. La conversation politique à laquelle nous venons d’assister chez Mme Roland ne