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resté. Cet esprit a aidé au bon goût, il a nui à la foi. C’est dans Vida et dans les poètes de cette école qu’on peut le mieux observer le travail qui se fait alors dans la littérature. Nous avons vu tout à l’heure combien Vida, dans sa Christiade, avait de répugnance à se servir, pour désigner le Saint-Esprit, du mot théologique de spirites ; dans ses hymnes, il n’est pas moins embarrassé pour définir le Saint-Esprit d’une manière à la fois philosophique et élégante : « C’est, dit-il, cet amour que dans sa bonté le maître souverain de l’Olympe a pour les mortels, cet amour que dans notre reconnaissance nous avons pour lui à notre tour, que les habitans du ciel et de la terre ont les uns pour les autres, et qui les rend frères, cet amour enfin qui est le mutuel penchant du ciel et de la terre, le feu qui anime tout, le nœud indestructible et doux qui unit les élémens, la force des ames divines, le don infini de Dieu. C’est de là qu’émanent la piété et la vertu. Souffle puissant, amour plein de force, Dieu qui partout respire, esprit enfin, dont les créations sont partout répandues, c’est toi que partout nous voyons, toi que partout nous entendons[1]. » Il y a dans ces vers de l’éclat et de l’élévation ; mais ils ne se sentent guère de l’inspiration de l’Évangile, et cette divinité partout répandue pour tout animer, cet amour qui unit le ciel et la terre, ressemble beaucoup plus à l’amour, au dieu primitif chanté par le vieil Hésiode, qu’au Saint-Esprit, qui, sous la forme d’une colombe, préside au baptême de Jésus-Christ, ou, sous la forme de langues de feu, vient inspirer les apôtres.

Il y a au XVe siècle, en Italie, parmi les lettrés, deux sortes de paganismes, le paganisme qui prête au christianisme ses mots, ses images, ses idées et presque ses sentimens : c’est celui de Vida dans son poème et dans ses hymnes ; le paganisme qui emprunte au christianisme ses idées et ses sentimens : ce dernier genre de paganisme est le plus curieux et témoigne de l’étrange confusion qui s’était faite alors dans les esprits. Il y avait des poètes qui, dans leur passion pour l’antiquité, s’étaient élancés du premier bond jusqu’au paganisme littéraire le plus absolu, et qui chantaient Jupiter, Junon, Minerve, Apollon et Vénus plutôt que la Vierge et les saints : tel est, par exemple,

  1. Hic amor est quo mortales regnator Olympi
    Prosequitur bonus ; hic idem quo nos quoque contra
    Grati illum ardemus, quo se superique hominesque
    Mutuâ amant inter sese pietate foventes.
    Hic amor est coeli ; terrarum haec mutua flamma,
    Cuncta fovens, nodusque tenax et amabile vinclum,
    Caelestum vis magna, dei immemorahile donum,
    Hinc omnis pietas, hine omnis denique virtus ;
    Aura potens, amor igne potens, spirabile numen,
    Spiritus ipse, tui apparent vestigia ubique
    Numinis ampla ; tuum est quodcumque, ubicumque videmus.