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plus ne peut le contester. Depuis deux ans, elle travaille à réaliser ses vieux de liberté et d’unité. Jusqu’ici, elle n’a pas pu y parvenir. Ce n’est pas faute de projets de constitution et faute d’assemblées constituantes assurément ; mais les constitutions et les assemblées allemandes s’évaporent et s’évanouissent avant d’arriver à la réalité. Ce sont des ombres qui ne peuvent pas supporter la clarté du jour. L’Allemagne conçoit beaucoup, mais elle accouche peu.

En ce moment, nous sommes en Allemagne en face de deux apparences de constitutions et d’assemblées. Les deux constitutions sont celle que la Prusse propose à l’assemblée d’Erfurth, et celle que les rois de Saxe, de Bavière et de Wurtemberg proposent à l’assemblée qui doit quelque jour, je ne sais pas quand, se réunir à Francfort. Essayons de saisir sous ces apparences de constitutions et d’assemblées ce qu’il y a de réel. Ici nous sommes forcés de revenir aux plus anciens souvenirs de l’histoire d’Allemagne.

Il n’est pas de Teuton et d’ami du teutonisme qui ne sache que la lutte entre l’Allemagne du nord et l’Allemagne du midi a commencé avec la querelle qui s’engagea entre Arminius et Maroboduus, dans les premières années de l’empire romain, Hermann et Marbod ont commencé la lutté. Le roi de Prusse d’un côté, et les rois de Bavière, de Saxe et de Wurtemberg la continuent aujourd’hui. Les armes ont changé, les causes de guerre ont changé aussi ; mais la même antipathie entre le Rhin et le Danube, entre le nord et le midi, semble encore subsister, et il est curieux de voir comment tant de magnifiques espérances d’unité n’ont abouti qu’à raviver le dissentiment des climats. On a passé par toutes les théories de la philosophie et de la politique pour aboutir au vieux débat géographique.

L’assemblée constituante d’Erfurth est ouverte. Que fera-t-elle ? Sera-t-elle le noyau d’une Allemagne unitaire et libérale ? sera-t-elle seulement l’instrument de l’ambition du cabinet prussien ? La situation de la Prusse en ce moment est vraiment singulière. La Prusse est sur le point non plus seulement d’être une puissance libérale, mais une puissance révolutionnaire, elle qui, l’année dernière, était la puissance réactionnaire. Même destinée pour l’assemblée d’Erfurth. Elle a été inventée pour combattre et pour anéantir l’assemblée constituante de Francfort, voici qu’elle est sur le point de la remplacer. Et comme s’il était décidé que cette pauvre Allemagne aura toujours à choisir entre l’ombre et le corps de son unité, sans jamais pouvoir discerner clairement où est le corps et où est l’ombre, voilà que l’Allemagne du midi présente à l’Allemagne du nord une autre constitution et une autre assemblée que celle d’Erfurth De même que la constitution d’Erfurth était opposée à la constitution de Francfort, la constitution des trois rois est opposée à la constitution d’Erfuth. Laquelle de ces deux constitutions sera la constitution de l’Allemagne ? Ni l’une ni l’autre, voilà notre augure. La constitution d’Erfurth a mangé la constitution de Francfort, et elle n’en est pas plus forte pour cela. La constitution des trois rois mangera la constitution d’Erfurth, et n’en sera pas plus forte non plus. Ces constitutions, qui n’ont de force que pour s’entre-détruire, sont un acheminement au retour pur et simple de l’Allemagne aux institutions de 1815. Ce qui nous fait croire que l’Allemagne est sur le chemin qui la reconduit à 1815, c’est que nous voyons qu’à chaque nouvelle constitution elle s’en rapproche davantage chaque fois. La constitution de Francfort était celle