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n’évoqueraient pas bientôt dans la rue les mouvemens fébriles qu’elles ranimaient dans les esprits. Si cette impression fut réelle et sincère en 1847, lorsque rien n’était dérangé encore à l’ordre établi, ne doit-elle pas être plus vive aujourd’hui que les spectateurs du drame sont placés au même point de vue que les acteurs ? M. Ponsard ne s’est pas effrayé de cet inconvénient ; il nous a rappelé, par la bouche de Clio, sa poétique patronne, que les Athéniens, nos modèles, aimaient à voir représenter sur leur théâtre les grandes scènes de la vie politique de leur temps. Peut-être ne faudrait-il pas trop abuser de cette comparaison de la France avec Athènes depuis la république de février. Les deux républiques se ressemblent assez peu, et l’érudition la moins pédante pourrait faire là-dessus les plus complètes réserves ; en outre, il n’est guère prudent de nous rappeler que s’il y a eu en France, depuis deux ans, quelques velléités attiques, elles se sont trouvées justement chez ceux qui ne tenaient pas à faire de leur atticisme le complément de la forme républicaine, et y cherchaient, au contraire, une sorte de protestation épigrammatique contre des ridicules ou des travers plus spartiates qu’athéniens et plus béotiens que spartiates. À Athènes d’ailleurs, le théâtre offrait-il les mêmes spectacles que ceux que nous présente aujourd’hui l’histoire de notre révolution ? Lorsque Eschyle, dans un cadre dont la grandeur, le mouvement et l’audace n’ont jamais été dépassés, déroulait devant son auditoire transporté le magnifique drame des Perses, il faisait tressaillir tout un peuple au tableau de ses luttes et de ses victoires contre ses plus terribles ennemis ; mais ces ennemis étaient les Perses, ce peuple était homogène, sa république ne condamnait pas une caste au profit d’une autre, ne faisait pas de la consécration d’un principe ou d’un intérêt la ruine d’autres intérêts ou d’autres principes. Xercès ne comptait pas un ami parmi les spectateurs d’Eschyle, et la simplicité sublime de l’action, du spectacle et du langage n’était que l’expression vivante, colorée, irrésistible d’un sentiment patriotique qui vivait dans toutes les ames. Donnez une valeur poétique, une forme vraiment littéraire à ces grands drames qui retracent, sur nos scènes populaires, les épisodes militaires de l’empire ; admettez-y même, si vous le voulez, les gloires guerrières de la république : vous aurez quelque chose d’analogue à ces drames athéniens où un poète de génie éveillait les ombres glorieuses de Marathon et de Salamine ; mais Danton ! Robespierre ! Sieyès ! Vergniaud ! Louvet ! Barbaroux ! quels que soient vos efforts pour rester équitable, pour observer la proportion et la mesure, vous ne parviendrez jamais à faire de ces noms, des idées qu’ils représentent et des souvenirs qu’ils rappellent, un point de ralliement où puissent se rencontrer et s’unir les spectateurs que vous convoquez. Il y en aura, je le crains, pour qui Robespierre ne sera pas Xercès, et il y en aura aussi, je le crois, pour qui Vergniaud ne sera jamais Thémistocle.

M. Ponsard, par un sentiment moins original que méritoire, ne veut pas qu’on accuse la liberté des excès qui se commettent en son nom : c’est là une vérité pour laquelle, comme pour beaucoup d’autres, le mérite de l’à-propos nous a toujours paru indispensable. Il ajoute que les rois, si l’on y regardait de près, fourniraient aussi leur contingent de crimes, et qu’il y aurait autant d’injustice à rendre la république responsable des forfaits de Robespierre et de Marat qu’à s’en prendre à la royauté des vices de Néron, de Richard III et de Macbeth.