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un état quaker. Durant les longues guerres de l’Amérique, les Amis pensylvaniens se virent réduits ou à renier leurs principes ou à se démettre de leurs charges. Presque tous embrassèrent ce dernier parti ; une faible portion seulement de la société consentit à admettre la légitimité de la guerre en cas de défense national. À l’époque de la révolution, ces quakers mitigés donnèrent aux armées de l’Union plusieurs généraux, Green, Matlock, Miflin. On les désignait sous le nom de free quakers (quakers libres). Depuis quelques années, il paraît que leur petite communauté religieuse a cessé d’exister. En tout cas, leur exemple n’a pas été contagieux, et les Amis en masse sont, de nos jours, les principaux apôtres des congrès de paix et de toutes les associations pour l’abolition de la guerre.

Le quakérisme est donc rentré dans la vie privée. À ses débuts, la société s’était surtout recrutée dans les campagnes ; maintenant, c’est dans les villes qu’habitent la majeure partie de ses membres, qui, en général, s’adonnent à l’industrie et au commerce. Dans la Pensylvanie, les Amis formaient, au commencement de notre siècle, presque un huitième de la population. D’après les statistiques les plus récentes, ils s’élèvent à environ cent mille ames dans toute l’étendue des États-Unis. Le Delaware, le Nouveau-Jersey, le Rhode-Island et la Caroline du Nord sont, après la Pensylvanie, les provinces où ils dominent. En Angleterre et dans le pays de Galles, on évalue leurs congrégations à trois cent quatre-vingt-seize. Hors de l’Amérique et de la Grande-Bretagne, leur secte n’a jamais réussi à se propager. Leurs colonies en Hollande, en Allemagne et en Norvége sont sans importance ; elles se réduisent à un petit nombre de villages. En France, nous n’en possédons que quelques familles, établies à Congenies, Saint-Ambroix et Saint-Gilles, dans le Gard[1] ; encore est-il plus que douteux qu’elles soient d’origine quakeresse. Des Amis anglais tentèrent bien de répandre leurs idées à Dunkerque et à Calais, et, en 1791, deux d’entre eux parurent même à la barre de la constituante, où Mirabeau dépensa vainement son éloquence pour réfuter leurs scrupules à l’égard du métier des armes ; mais bientôt ils abandonnèrent le pays sans avoir fait de prosélytes. Avant cette époque, une quakeresse avait également, sans succès, tenté de convertir Louis XIV, en se présentant devant lui au nom du monarque souverain des monarques.

Quoique la Société des Amis soit ainsi resserrée dans des limites

  1. Dans le pays, on leur donne le nom de coufiaires, pouffaires, souffleurs ou trembleurs. Tout porte à croire que ce sont des débris des anciens fanatiques des Cévennes. Grégoire pense que dans les premières années du dernier siècle deux femmes furent les fondatrices ou les réformatrices de leur petite communauté. L’usage de ces trembleurs villageois était de s’exciter à la prière par des soupirs, des larmes, certains mouvemens du corps. Vers 1788, des Amis anglais les découvrirent dans le cours d’une tournée religieuse, et, trouvant en eux de grandes analogies avec leurs propres doctrines, ils achevèrent d’en faire des quakers.