Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cachée leur foi primitive : la croyance aux miracles du sentiment, l’idée que l’homme se moralisait et se perfectionnait uniquement parce qu’il avait le don de reconnaître de lui-même les charmes du vrai et du juste. Toujours ils en ont plus ou moins conclu à priori que tout ce qui allait mal n’allait mal que faute de sermons, faute de voix pour annoncer ce qui était le bien ; toujours ils se sont plus ou moins imaginé que les hommes pouvaient être amenés à la perfection d’Adam par l’unique puissance de la lumière intérieure, et que, sans l’aide d’aucune punition, il suffisait de prêcher pour convertir les malfaiteurs comme pour civiliser tous les sauvages. Cette utopie-là, le cartésianisme encore nous l’a léguée, et elle travaille de son mieux à désorganiser nos familles et notre société en se confiant aux miracles de l’indulgence.

Que cela toutefois ne nous empêche pas de rendre justice à qui de droit, et tout d’abord aux intentions des quakers, qui ont certainement rendu de grands services en se consacrant à l’étude des misères et des remèdes à y apporter. Que cela surtout ne nous ferme pas les yeux sur la marche fort curieuse et fort significative que le mysticisme des Amis a constamment suivie dans la même direction, de l’utopie à la réalité. Des illusions au début, beaucoup d’obstination à poursuivre les conséquences d’un faux système, mais beaucoup de sagesse aussi pour laisser là les conclusions condamnées par les faits, voilà, nous l’avons vu, quelle a été l’histoire de leur foi et de leur carrière politique. C’est aussi là l’histoire de leur philanthropie : chaque jour, elle a grandi en raison. Au roman ont succédé les entreprises assez sages pour réussir. En 1796, la médecine reçut des quakers une grande leçon. Les premiers ils comprirent et révélèrent les avantages de la douceur dans le traitement des maladies mentales, et la retraite qu’ils fondèrent à York pour les aliénés de leur communion a servi de modèle à tous les établissemens de pareille nature. De ce beau succès date, pour ainsi dire, une ère nouvelle. L’esprit pratique n’a plus abandonné la charité des Amis. Pour s’en assurer, il suffit d’ouvrir les Mémoires de William Alleu et de mistress Fry. On les a appelés les Annales de la bienfaisance au dix-neuvième siècle ; on eût pu les nommer les Annales de la bienfaisance éclairée.

Sans fortune, sans éducation première, William Allen finit par devenir un des hommes les plus importans de l’Europe, et comme savant et comme bienfaiteur de ses semblables. Tout en s’adonnant activement à sa profession, tout en poursuivant les études qui le menèrent à la Société royale et à une chaire de professeur dans un hôpital, il sut diriger et stimuler les forces vives de la charité privée. L’abolition de la traite avait été sa première passion. Jusqu’à sa mort, il fut comme le type de ce que la philanthropie peut