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jamais calomnié plus intrépidement l’innocence ! Un autre écrivain qui a donné aussi au gouvernement des conseils fort inattendus, c’est M. Charles Gutzkow. M. Gutzkow, depuis environ dix ans, semblait avoir renoncé, pour d’excellentes raisons, à la littérature politique ; le théâtre l’occupait tout entier, et le poète se consolait des échecs du publiciste. Pourquoi revient-il aujourd’hui aux malheureuses tentatives de sa jeunesse ? Certes, ce ne sont pas les idées qui le pressent ; il n’apporte rien de nouveau, et son enthousiasme ainsi que ses prédictions ne révèlent pas un coup-d’œil bien sûr : le livre de M. Gutzkow, intitulé l’Allemagne à la veille de sa grandeur, a paru à la fin de 1848, au moment même où l’assemblée de Francfort allait solennellement échouer dans sa chimérique’ entreprise.

C’est encore à la littérature du parlement que se rattachent les Lettres de Francfort et de Paris[1], par M. Frédéric de Raumer. M. de Raumer est professeur à l’université de Berlin et l’un des historiens qui tiennent le plus de place dans la littérature allemande. Il a énormément écrit. Histoires d’Europe, histoires d’Allemagne, fragmens sans nombre dans les Taschenbücher de chaque année, M. de Raumer a composé à lui seul tout un fonds de librairie. Au milieu de ces travaux de hasard, nécessairement dépourvus d’originalité et de vigueur, il est fort heureux pour M. de Raumer que la critique puisse citer son Histoire des Hohenstaufen, œuvre sérieuse, savantes recherches sur une des belles époques de la vieille Allemagne. C’est ce livre qui a fait la réputation de l’écrivain et qui la soutient encore malgré la déplorable fécondité de sa plume ; le grand faiseur du XVIIe siècle, Varillas, et notre contemporain M. Capefigue n’ont pas eu le même bonheur. Ces vastes domaines de l’histoire ne suffirent bientôt plus à un homme qui les parcourait si rapidement ; M. de Raumer s’est cru et se croit publiciste. La France, l’Angleterre, les États-Unis, ont été tour à tour l’objet de ses études politiques, si ce mot d’études peut convenir à des notes de voyage, à de vulgaires et fugitives impressions qu’aucun lien ne rassemble, qu’aucune pensée ne relève et n’agrandit. C’est ainsi que M. de Raumer nous a donné en 1830 ses Lettres de Paris, dont la pauvreté a paru plus pâle encore auprès des ardentes peintures de Louis Boerne ; c’est ainsi qu’il a fait minutieusement connaître toutes ses notes sur Londres et l’Amérique du Nord. Les lettres nouvelles qu’il vient de publier, les lettres écrites de Paris en 1848, doivent précisément à cette familiarité un haut intérêt comique, dont l’auteur ne se doute pas : quand M. de Raumer, en effet, traçait chaque soir les souvenirs intimes qu’il veut bien communiquer au public, il était ambassadeur de l’empire d’Allemagne auprès de la république française !

  1. Briefe aus Frankfurt und Paris, von Friedrich von Raumer, Leipzig, 1849.