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ressemblent trop à une continuation de la lutte, à un prolongement de l’émeute et de la fusillade. Où est la pensée, où est l’art ? quelle est la part de la philosophie et des lettres au milieu de ces violences ? La pensée est ivre, et l’art est outragé. D’un côté les emportemens de la démagogie, de l’autre les vengeances d’une répression cruelle : ce n’est pas là ce que je cherche.

Disons au moins quelques mots des almanachs de la république rouge. Le Mathieu Lansberg d’outre-Rhin n’est ni moins fécond ni moins furieux que le nôtre. Je remarque seulement qu’il aime à varier son costume ; tantôt il paraît sous la forme d’un catéchisme, — le Catéchisme de la commune libre, par M. Schneider, tantôt sous la forme d’un dictionnaire, Petit Dictionnaire politique, par M. Mühlecker. Quant au fond, il change peu : injures, outrages, cris de vengeance, appels aux passions subversives, c’est là tout ce que l’astrologue colporte de village en village. Notre Mathieu Lansberg n’a pas complètement renoncé aux us et coutumes du vieux temps ; il débute encore par le calendrier, et parfois même les diatribes les plus grossières sont entremêlées d’indications traditionnelles sur les changemens des saisons, sur les foires de l’année, sur la culture des champs. Rien de pareil chez nos voisins. Le Mathieu Lansberg d’outre-Rhin est plus franc ; le calendrier même a disparu pour ne pas dérober leur place aux prédications démagogiques. Ces prédications, nous les connaissons par cœur. Si les catéchismes du socialisme populaire sont innombrables, les idées nouvelles n’y abondent guère. C’est toujours la même répétition du même fatras. Qui en a lu un en a lu mille. Parcourez le Michel allemand sur le terrain le plus largement démocratique, Almanach pour les trente-quatre unités de l’Allemagne, vous saurez ce que contiennent l’Almanach des Paysans, par M. Neff, l’Almanach du Peuple, par M. Lüders, et l’Almanach du Nouvel An pour les Sujets et les Valets. Le résumé de tous ces manuels révolutionnaires, c’est la doctrine de la jeune école hégélienne, tantôt grossièrement traduite en formules incendiaires, tantôt exposée avec de certaines prétentions savantes, selon que l’auteur s’adresse aux villes ou aux campagnes. L’Almanach du Peuple pour 1850 est, par exemple, un petit bréviaire philosophique publié sous le patronage et avec l’aide de M. Arnold Ruge. Des écrivains sans nom, serviles disciples du maître, M. Eichholz, M. Moneke, M. Lüders, ne font qu’y développer les sentences du docteur hégélien ; celui-ci établit la sainteté du divorce et réclame l’organisation de la polygamie, celui-là demande à grands cris l’anéantissement des religions. Ce dernier article est l’un des plus intéressans qu’on puisse lire dans les almanachs de cette année ; l’auteur, M. Lüders, est fort irrité contre un de ses confrères qui a glorifié le socialisme comme la réalisation des principes évangéliques, et il n’a pas de peine à démontrer