Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux champs de bataille de l’Autriche. C’est un mélange de plates narrations et d’emportemens furieux ; tantôt il retrace vulgairement les débats de l’assemblée de Francfort, et, membre lui-même de ce parlement fourvoyé, il se venge par des personnalités maussades du rôle médiocre qu’il y a rempli ; tantôt, quittant le ton prosaïque du bulletin pour les fanfares de l’épopée, il glorifie à sa manière les barricades de Vienne et jette à la société d’horribles malédictions. Triste sujet pour la poésie que ces guerres civiles de l’Autriche ! Ne vaudrait-il pas mieux, de part et d’autre, recouvrir ces affreux événemens d’un volontaire oubli ? Combien il y a plus de patriotisme dans l’intelligente modération de M. Bauernfeld ! combien plus d’émotion sincère dans ces fines peintures qui dissimulent avec art tous les souvenirs néfastes ! Irriter les cœurs avec la mort de Robert Blum, quelle folie, quand il est si facile de vous répondre avec l’assassinat du comte Latour ! Si ce n’est pas la rhétorique révolutionnaire qui vous pousse, si vous êtes digne d’entendre un bon conseil, éteignez les haines au lieu de les enflammer ; élevez, moralisez, affermissez les ames, et préparez-les aux pacifiques conquêtes de la société nouvelle ; un écrivain sérieux n’a pas d’autre office à remplir sur une terre encore toute sanglante, au milieu des morts et des blessés d’une guerre impie. Il faut dire la même chose au brillant poète de la Couronne des Morts, à M. de Zedlitz, qui a publié des chansons militaires sur la campagne de Radetzki en Piémont, et qui annonce un recueil semblable dédié aux vainqueurs de la Hongrie. Que les courtisans des conseils de guerre donnent la main aux courtisans de la populace, ils outragent tous également la sainte mission de la Muse. La politique a souvent des obligations cruelles, la société en péril peut être réduite à frapper ; mais quoi ! vous qui êtes affranchi des anxiétés de l’homme d’état, vous qui avez le droit et le devoir d’apaiser toutes les violences, de maintenir les éternels sentimens de l’humanité, est-ce bien à vous, ô poète, de célébrer avec joie de si douloureux triomphes ?

Les chantres de la révolution prussienne ne font pas meilleure figure que les Tyrtées de l’Autriche. M. Rodolphe Gottschall a célébré les vainqueurs du 18 mars, et M. Titus Ullrich leur a consacré des hymnes funèbres ; il y a dans tout cela une insignifiance d’idées et une monotonie de langage qui n’alarmeront pas l’égalité démagogique. Avant les barricades, la petite troupe des poètes politiques avait ses chefs, ses distinctions, une sorte de hiérarchie ; rien de pareil n’existe plus depuis que M. George Herwegh est devenu le chef, c’est-à-dire le jouet des corps francs du duché de Bade, depuis surtout que M. Freiligrath, coiffant sa poésie du bonnet rouge, a adressé au roi de Prusse, au futur guillotiné, comme il dit, des imprécations de sans-culotte. Quand la plume du poète est tombée dans la boue, elle est au premier venu qui