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conseillers piétistes de Frédéric-Guillaume IV, ses propres incertitudes et les fureurs de la démagogie ; qu’il prenne garde à ce nouveau péril : il aura contre lui désormais les romans de M. le baron de Sternberg.

Voici un autre roman sur le même sujet ; il s’agit encore de la société prussienne pendant les deux années qui ont précédé la révolution de 1848. Seulement l’auteur a vu les choses tout autrement que M. de Sternberg, et il a précisément pour but de montrer combien les progrès de la pensée générale appelaient une transformation profonde dans les lois du pays. La Prusse avant le 18 mars (c’est le titre du livre) est la peinture de cette société généreuse, ardente, à laquelle toute l’Europe libérale s’intéressait, et qui prouvait ses droits par le talent de ses orateurs, par l’éclat de ses premières discussions publiques. Ce sujet est grand : l’année 1847 restera une année mémorable dans l’histoire de la Prusse ; malheureusement l’auteur est presque toujours demeuré au-dessous de sa tâche, et l’intérêt de son récit ne répond pas à la loyauté de ses intentions. L’oeuvre manque de plan et d’unité ; deux figures principales se disputent tour à tour l’attention du lecteur, et, au lieu d’une composition, nous n’avons devant les yeux qu’une série d’épisodes. Tantôt nous suivons avec une sympathie douloureuse les malheurs d’un généreux publiciste, Jordan, professeur à l’université de Berlin, qu’un pouvoir soupçonneux a enlevé à sa chaire et jeté dans nu cachot ; tantôt nous sommes transportés au sein de cette société aristocratique que pénètre peu à peu l’influence de l’esprit libéral. Le fils du comte de Kleist. Armand, s’associe avec zèle, et malgré l’opposition de sa famille, aux travaux, aux espérances, aux patriotiques élans de la nation prussienne. Jordan et Armand de Kleist, le publiciste éloquent et le généreux gentilhomme, tels sont les deux héros du livre. Leurs portraits sont assez nettement dessinés, et si l’auteur avait donné les mêmes soins à la peinture générale de Berlin, aux luttes des partis contraires, surtout à l’intérêt dramatique et à l’unité de la fable, l’ouvrage ne mériterait que des éloges. Tel qu’il est, c’est une esquisse agréable, honnête, assez vive en de certains endroits, mais faible et languissante dans son ensemble. Des allusions toutes personnelles, des chroniques et des commérages de salons y tiennent trop souvent la place de ce mouvement brillant, de ce noble essor des esprits qu’il fallait reproduire. M. Bauernfeld, avec sa gracieuse ironie, a été le peintre exact de la molle société viennoise ; le travail des intelligences à Berlin aurait pu fournir à une plume exercée des beautés originales. La Prusse avant le 18 mars a paru sans nom d’auteur ; M. Henri Simon (de Breslau), l’un des chefs de l’extrême gauche à l’assemblée de Francfort, y a mis une préface dont le livre se serait fort bien passé ; il y est beaucoup parlé des esclaves, des tyrans, des chaînes brisées et autres choses de ce genre. Au lieu d’appeler à