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et à leurs besoins particuliers en première ligne. Tout socialiste se croit en droit de vivre aux dépens du public ; à défaut de traitement, il lui faut une récompense nationale, et l’on fait de l’aumône une dette de l’état. On sait parfaitement que chaque fois que l’autorité montre un écu à donner à titre de secours, vingt personnes capables de le gagner à la sueur de leur front se croisent les bras, ou plutôt tendent la main pour l’obtenir. On désorganise le travail sous prétexte d’organiser l’assistance publique. L’avènement des fondateurs d’un régime de frugalité se signale par les bombances de l’Hôtel-de-Ville, du ministère de l’intérieur et des préfectures envahies par les commissaires du gouvernement. Ceux qui demandent le droit au travail n’en tolèrent pas la liberté. Si un jour la république socialiste se décide à donner à la tribune nationale le programme officiel de l’avenir qu’elle nous ménage[1], son manifeste se résume en deux points. Elle réclame d’abord l’exercice du travail attrayant, comme si depuis vingt-cinq ans qu’il en est question, on avait empêché les personnes qui en ont le goût de s’y livrer entre elles, ou mis la moindre entrave à ce qu’au lieu de faire des livres et des discours qui ont quelquefois ennuyé le public, elles lui donnassent des exemples qu’il aurait suivis, s’ils avaient été bons. Il lui faut ensuite, pour la dotation de la première commune socialiste qu’elle fondera en France, — et nous n’en avons guère que 36,819 à transformer, — une étendue de douze à seize cents hectares à proximité de Paris, c’est-à-dire une valeur de 5 ou 6 millions, et de plus des frais d’établissement, qui ne peuvent pas être de moins de 3 millions. Cette commune devant être composée de 500 à 550 personnes, la dotation sera d’environ 16,000 francs par individu, et de 80,000 fr. par famille, à supposer que la famille fût conservée… Et si quelqu’un s’enquiert de ce que l’hetmann Platoff aurait pu demander de plus au congrès de Vienne pour installer dans le département de Seine-et-Oise un pulk de Cosaques du Don, on répond qu’il s’agit aujourd’hui des Cosaques de l’intérieur, que la France doit gagner assez à ce qu’ils renoncent au séjour de la ville et prennent le goût de la campagne pour ne pas lésiner sur les frais de premier établissement, que les socialistes sont une race trop précieuse à multiplier dans le pays pour que le peuple hésite à travailler pour eux ou à leur payer des contributions. Ces extravagances se débitent sur le ton d’une mendicité menaçante, et il est naturel que, lorsqu’on refuse au parti qui les proclame de lui constituer, en attendant mieux, un fief dans la forêt de Saint-Germain, il convie les paysans au partage du champ et de la vigne du voisin.

Quant aux masses à qui s’adresse ce langage, elles veulent être gouvernées,

  1. Séance de l’assemblée constituante du 14 avril 1849.