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et celui qui abordera résolûment cette tâche, encore à peut près intacte, recevra, quel qu’il soit, comme Salomon quand il eut choisi la sagesse, tout le reste par surcroît.

Les criminelles folies que nous avons à combattre par ces moyens loyaux ont déjà passé sur le monde. Le socialisme que nous voyons tous les jours dans les journaux, dans les almanachs, à la tribune, que nous avons rencontré dans la rue le 24 février, le 15 mai, le 24 juin 1848, le 29 janvier, le 13 juin 1849, est de tous les temps, de tous les pays, et sa prétention la plus ridicule est celle d’être nouveau[1]. Il y a dix-neuf cents ans qu’il s’appelait en Italie le parti de Catilina : toute la différence est que, le combat engagé, le Catilina de Rome se précipite au plus épais des rangs ennemis, et son corps se retrouve loin en avant des siens, entouré de cadavres, tandis que les Catilinas de Paris envoient leurs soldats aux coups, et, du plus loin qu’ils entendent Petreius venir à eux, se sauvent au travers d’un châssis crevé. Souvenons-nous cependant que, dans les grandes crises sociales, le courage est l’unique moyen de salut : le ciel n’a jamais aidé ceux qui s’abandonnaient eux-mêmes, et nous pouvons avoir quelque jour devant nous de plus redoutables adversaires que les aventuriers de 1848.

La Hollande a plus d’une fois vu quelques porcs, oubliés sur une de ses digues, la fouiller de leur groin pour en arracher des larves et ouvrir un sillon où s’infiltre un filet d’eau : en un instant, le sillon devient brèche, la mer s’y précipite. La négligence d’un pâtre à surveiller d’immondes appétits coûte la submersion d’une province, et des années de rudes labeurs, de sollicitudes inouies, suffisent à peine pour réparer la faute d’un moment. Cette histoire est la nôtre, à cela près que nous tous, entraînés dans le cataclysme du 24 février, depuis les plus

  1. Entre des centaines de faits qu’offrent les temps modernes à l’appui de cette proposition, en voici un qui s’est accompli sur le territoire d’un de nos départemens de l’est : « En ce temps (1524) se leva un populaire qui vouloit maintenir tous les biens estre communs, sous lequel prétexte se meirent ensemble quatorze ou quinze mille villains pour marcher droict en Lorraine et de là en France, estimant pouvoir tout subjuguer, parce qu’ils auoient opinion que la noblesse de France estoit morte à la bataille. Lesquels païsans assemblez, partout où ils passoeient, pilloeient les maisons des gentilshommes, tuoient femmes et enfans avec cruauté inusitée. Pour à quoi obuier, monsieur le duc de Guise et le comte de Vaudemont, son frère, après auoir assemblé toutes les garnisons de la Bourgongne et Champagne, tant de cheval que de pied, et entre autres le comte Ludouic de Belle-loyeuse (Belgiojoso), qui auoit deux mille hommes de pied italiens, marchèrent au deuant de la furie de ce peuple : lesquels ils rencontrèrent à Sauerne, au pied de la montagne, tirant le chemin de Strasbourg. Et encore qu’ils fassent quinze mil contre six mil, se fiant lesdits seigneurs à leur gendarmerie, les chargèrent et les défeirent et taillèrent tous en pièces, hormis ceux qui se sauuèrent à la montagne : et y moururent de ce populaire de huict à dix mille hommes, et des nostres peu, et entre autres de rostre part y furent tuez le capitaine S. Malo et le seigneur de Bétune, capitaine de la garde dudit duc de Guise. Onc depuis cette deffaite ne fut nouvelle que cette canaille se dut rassembler. » (Mémoires de Messire Martin Dubellay, etc, In-folio ; Paris, 1582, p. 121.)