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qu’ils s’y entendraient fort bien. Malheureusement il ne dépend pas plus d’eux de redevenir simples soldats qu’il ne dépend de leurs malicieux censeurs de devenir chefs. Le temps a fait le rôle de chacun. Pendant long-temps encore, les burgraves seront des burgraves, les margraves seront des margraves, et les francs-archers seront des francs-archers, jusqu’à ce qu’il plaise au sort de donner aux francs-archers l’occasion de devenir margraves et burgraves, car c’est l’occasion seule qui leur manque.

Est-ce à dire qu’en prêchant la discipline au parti de l’ordre, nous prêchions le maintien du statu quo, et que tout est pour le mieux dans la meilleure des républiques possibles ? Non certes, et, loin d’être optimistes, nous serions plutôt tentés d’être pessimistes en ce moment. Nous avons eu, pendant les trois premiers mois de la révolution de février, un spectacle triste, mais où il y avait pourtant une consolation : nous avons eu le spectacle de l’impuissance du parti du désordre ou de la chimère. Le spectacle d’aujourd’hui est désolant, si nous sommes réservés à voir l’impuissance du parti de l’ordre et du bon sens, et si, en bien comme en mal, notre pauvre siècle est mené à l’avortement. Et ce qu’il y a de désolant dans l’impuissance qui se manifeste, c’est qu’elle est toute volontaire. Le parti modéré peut tout ce qu’il veut, mais il ne veut pas pouvoir. Il a peur d’agir, il hésite, il tâtonne. Est-ce par peur de ses ennemis qu’il hésite ? Non. La peur du danger, la vilaine peur, celle qui rampait dans les marais de la convention, celle-là, grace à Dieu, n’a pas pénétré et ne pénétrera pas dans les rangs du parti modéré. Il a peur de ses amis, voilà sa peur. Oui, chacun craint son voisin, non pas d’être abandonné par lui : à Dieu ne plaise ! il n’y a pas de traîtres et de transfuges dans le parti modéré. Que craint-on donc du voisin ? On craint, chose triste à dire, on craint son succès. Prenez garde, dit-on sans cesse, voilà une mesure qui serait favorable au parti bonapartiste. — Mais le parti bonapartiste, c’est nous. — Oh ! oui et non. — Ou : — Cette mesure ferait trop bien les affaires du parti orléaniste. — Mais le parti orléaniste, c’est nous. — Oui et non. — Mêmes défiances à l’égard du parti légitimiste, qui, à son tour, ressent toutes les défiances qu’il inspire. Hélas ! si le parti modéré est condamné à ne faire que ce qui ne peut pas favoriser ou ce qui ne peut pas choquer le parti bonapartiste, le parti orléaniste, le parti légitimiste, qui ne voit que le parti modéré est condamné à l’impuissance la plus absolue ? Quant à nous, nous sommes si loin de craindre le succès de l’un des trois grands partis qui composent le parti de l’ordre, que nous souhaitons le succès de tous les trois, et peu nous importe celui qui réussira le premier, pourvu qu’il y en ait un qui réussisse, car il suffit qu’il y en ait un qui réussisse pour que la société soit sauvée. Au premier sauveur venant de la société, voilà donc notre toast, et, encore un coup, peu nous importe son nom.

Nous disions tout à l’heure que le parti modéré pourrait tout ce qu’il voudrait : en effet, il a le gouvernement, il a les ministres, il a le président, qui s’affermit par les outrages de ses misérables adversaires, au lieu de se décourager. Qu’on ne dise pas que le gouvernement du président hésite ou s’intimide. On a demandé que des lois fussent proposées contre les clubs et contre les journaux socialistes, contre la prévarication des maires : les lois ont été proposées. La majorité semblait avoir hâte de les voter. Que deviennent ces