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de sève et de vigueur, comme si la lumière donnait la vie ; le soleil se levait sur la froide terre de Hollande. Les nuages s’entr’ouvraient pour laisser tomber une pâle lumière, sans chaleur et sans éclat. Toute la nature passait insensiblement du sommeil au réveil, et restait encore engourdie, alors qu’elle ne dormait plus. C’était la vie dans le silence. Nul cri, nul chant joyeux, nul vol d’oiseaux, nul bêtement de troupeaux ne saluent le jour. Au sommet des dunes, les baies de roseaux s’inclinent sous la brise, et le sable de la grève, franchissant ce faible obstacle, tombe sur les prairies et couvre leur verdure d’un voile mouvant. Un fleuve aux flots jaunâtres, chargé du limon de ses rives, coule paisiblement, sans ardeur, sans amour, vers la mer qui l’attend. De loin, ses eaux et son rivage paraissent de même couleur, et ne présentent que l’aspect d’une plaine sablonneuse, à moins qu’un rayon de lumière se brisant sur l’onde, quelques sillages argentés ne révèlent le cours du fleuve. Des bateaux pesamment chargés voguent traînés par un attelage de chevaux qui enfoncent leurs pieds robustes dans le sable, les relèvent, les enfoncent, et avancent sans hâte vers le but, sans souci de la fatigue. Derrière eux, un paysan marche le fouet sur l’épaule ; il ne presse pas ses chevaux ; il ne regarde ni le fleuve qui coule, ni les bêtes qui tirent, ni le bateau qui suit ; il marche, et, pour arriver, il n’emploie que la persévérance.

Tel n’est pas l’aspect général de la Hollande, mais tel est un des coins du tableau qui trappe les regards fatigués du voyageur lorsqu’il parcourt le nord de ce pays, qui semble, plus que tout autre, chargé de faire respecter le décret de Dieu qui dit à la mer : Tu n’iras pas plus loin !

Ce silence, ce calme des êtres et des choses, ce jour adouci, ces nuances partout affaiblies, ces grandes plaines sans mouvement, tout cet ensemble a sa poésie Partout où il y a silence et espace, la poésie trouve sa place ; elle aime un peu toutes choses, les rians paysages, les tristes déserts ; oiseau léger, tout lui est bon pour s’arrêter, tout le porte, tout le soutient, un brin d’herbe souvent lui suffit.

La Hollande, que le poète Butler appelait un grand vaisseau toujours à l’ancre, a sa beauté pour quiconque réfléchit en regardant. On admire lentement, mais on admire enfin cette terre en guerre avec la mer, luttant chaque jour pour défendre son existence, ces hommes patiens et courageux qui derrière un rempart brisé élèvent un autre rempart, ces villes qui forcent les flots à couler au pied de leurs murailles, à suivre la route tracée, à se contenir dans le lit creusé ; puis ces jours de révolte où l’eau, comme si elle se souvenait de sa nature première, veut reconquérir son indépendance, déborde, inonde, détruit, et enfin, par la force de la main de l’homme, se calme et obéit de nouveau. Là, la vie ressemble au soir d’une bataille ; il y a fatigue,