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— Quittez-le, Guillaume, interrompit froidement M. Van Amberg.

— Soit donc, passons outre. Tu revins ici, et, comme tes affaires exigeaient encore de longs voyages, tu m’as confié Annunciata. Elle est restée bien des années avec moi dans cette maison. Karl, la jeunesse de cette femme a été triste : elle a vécu sans plaisir, sans distraction, isolée et silencieuse. Tes deux filles aînées, maintenant la joie de notre demeure, étaient alors au berceau ; elles ne répondaient pas encore à leur mère. Moi, j’étais un bien sérieux compagnon pour cette femme belle et jeune, et puis, il faut savoir se juger soi-même, rien en moi ne pouvait être une ressource pour elle. Je suis un honnête homme, sensé, loyal, bon et simple, mais je n’ai guère lu, pas du tout rêvé ; je ne sais pas grand’chose et je ne devine rien ; j’aime le repos, mon fauteuil, mes vieux livres et ma pipe. J’ai cru d’abord tout bonnement, parce que cela m’était commode de le croire, qu’Annunciata me ressemblait, et qu’avec une bonne demeure et de la tranquillité elle serait heureuse à ma façon ; mais j’ai fini par comprendre, bien tardivement, je l’avoue, mais enfin j’ai compris, et je crains, frère, que toi, tu n’en aies jamais fait autant, que cette femme n’était pas faite pour être à la tête d’un ménage hollandais. D’abord, le climat lui serrait le cœur : elle me demandait toujours s’il ne viendrait pas de plus beaux étés, des hivers moins rudes, si les brouillards dureraient chaque année aussi long-temps. Je disais : « Non, l’année est mauvaise ; » mais je ne disais pas vrai, tous les hivers devaient se ressembler. Elle essaya de chanter des romances, des boléros de Séville ; mais bientôt son chant s’arrêtait, et elle fondait en larmes : cela lui rappelait trop son pays. Elle restait assise, immobile, attristée, souhaitant, comme je l’ai lu dans ma Bible, « les ailes de la colombe pour voler dans les cieux ! »

Frère, c’était triste à voir. Tu n’as pas su, toi, combien les soirées étaient longues ici, l’hiver, dans ce parloir. Le jour finissait à quatre heures, et elle travaillait près de la lampe jusqu’à l’heure du sommeil. Je faisais quelque effort pour causer, mais elle ignorait les choses que je savais, et j’ignorais celles qu’elle connaissait. J’ai fini par voir que ce qu’il y avait de plus doux pour elle, c’était de la laisser songer à son aise. Elle travaillait ou se reposait, elle pleurait ou était calme : je détournais mes yeux d’elle pour lui donner le seul bien qu’il dépendait de moi de lui donner, un peu de liberté de pensée ; mais c’était triste, mon frère !

Il y eut un instant de silence. M. Van Amberg le rompit le premier, et il dit d’une voix sévère :

Mme Van Amberg était chez elle, avec ses enfans, sous la protection d’un ami dévoué. Son mari travaillait au loin pour augmenter la fortune de la famille ; elle, elle gardait la maison pour veiller au