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de leur mère, elles se turent, et, devant les traces d’une profonde douleur qu’elles ignoraient, elles restèrent immobiles comme deux oiseaux effarouchés. Annunciata les appela à elle, serra ses filles sur son cœur, et laissa tomber ses larmes sur les deux têtes blondes qu’elle tenait embrassées. — Soyez heureuses, mes filles, dit-elle, soyez toujours heureuses ; que Dieu vous laisse rire et chanter long-temps ! — Puis, les éloignant doucement en s’efforçant de sourire, elle monta chez Christine.

Wilhelmine et Maria entrèrent dans le parloir encore toutes tremblantes ; elles s’approchèrent de leur père : il était debout contre la cheminée, la tête cachée dans une de ses mains. Cette main pressait son front, il n’entendait ni ne voyait. Les enfans restèrent silencieusement près de lui. Après quelques minutes de profondes réflexions, M. Van Amberg leva la tête, et, passant son bras autour de la taille de Maria, il la baisa au front. Ses lèvres touchèrent les cheveux encore mouillés par les larmes d’Annunciata ; il se recula, et son regard interrogea sa fille.

— C’est ma mère qui vient de nous embrasser, répondit-elle.

Mme Van Amberg s’était rendue chez Christine ; elle l’avait trouvée seule, assise sur le pied de son lit, épuisée par toutes les larmes qu’elle avait versées. Son joli visage, quelquefois si énergique, avait alors une expression de profond abattement qu’il était impossible de regarder sans être ému. Ses longs cheveux tombaient en désordre sur ses épaules un peu brunes, sa taille s’affaissait sur elle-même ; un chapelet s’était échappé de sa main entr’ouverte ; elle avait essayé d’obéir à sa mère et de prier, mais elle n’avait pu que pleurer. Son mantelet noir, encore mouillé de pluie, était posé sur une table ; quelques petites branches de saule se cachaient à moitié dans les plis de la soie. Christine les regardait avec amour et tristesse ; il lui semblait qu’un siècle s’était écoulé depuis qu’elle avait vu le soleil se lever sur le fleuve, sur les vieux arbres et sur la barque d’Herbert. Sa mère s’approcha lentement.

— Mon enfant, lui dit-elle en restant debout devant sa fille, où étiez-vous ce matin avant le commencement du jour ?

Christine leva les yeux vers sa mère, la regarda et ne répondit pas.

— Mon enfant, reprit Annunciata, où étiez-vous ce matin avant le commencement du jour ?

Christine se laissa doucement glisser du lit à terre, et, se mettant à genoux près de sa mère :

— J’étais, dit-elle, assise sur le tronc d’un des saules qui avancent dans la rivière. J’étais auprès de la barque d’Herbert.

— Christine ! s’écria Mme Van Amberg, ainsi donc, cela est vrai !… mon enfant, avez-vous pu à ce point enfreindre les ordres qui vous furent donnés ? Avez-vous pu ainsi oublier mes leçons, mes conseils ?