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— Herbert m’attend ! s’écria-t-elle.

À son âge, on se souvient mieux du bonheur que des larmes. Le commencement du jour fut encore pour elle un rendez-vous d’amour ; mais à peine eut-elle fait quelques pas, que la mémoire du passé revint, et sa porte fermée frappa ses yeux. Elle s’avança vers la fenêtre, s’y appuya comme la veille au soir, et regarda tristement. Un des coins du ciel semblait cacher un foyer de lumière dont la clarté n’arrivait qu’éteinte par les nuages qu’elle avait traversés. Le blanchâtre feuillage des arbres frissonnait sous le vent, qui n’avait de force que pour courber une feuille, et non une branche ; la prairie ne montrait son herbe fine et élancée qu’à travers le voile de brouillard que l’aube n’avait pas dissipé. Les bruits du réveil de toutes choses n’avaient pas encore commencé. Bientôt une voile blanche effleura la surface du fleuve, elle s’enflait et glissait légèrement comme l’aile ouverte d’un bel oiseau. Elle passa et repassa au bas de la prairie ; elle s’abaissa devant les arbres, puis se déploya de nouveau en inclinant vers l’eau la barque qu’elle conduisait. Elle formait mille détours dans un étroit espace, elle semblait attachée à un point du rivage et ne pouvoir s’en éloigner. Quelquefois, à de longs intervalles, le vent apportait des sons presque insaisissables comme les dernières notes d’un chant, puis la petite barque manœuvrait de nouveau, et sa voile s’agitait dans l’air. Les teintes blanches de l’aube firent place à la lumière plus chaude du soleil ; le sable et l’eau commencèrent à se colorer ; les passans parurent sur le rivage ; quelques bateaux de commerce remontèrent le fleuve ; toutes les fenêtres de la petite maison rouge s’ouvrirent comme pour recevoir l’air du matin. La barque laissa tomber sa voile, et s’éloigna lentement, entraînée par le courant.

Christine regardait et pleurait.

Deux fois dans la journée Gothon ouvrit la porte de la chambre de la jeune fille et lui apporta son frugal repas. Deux fois Gothon sortit sans prononcer une seule parole ; le jour entier s’écoula dans le silence et dans l’isolement.

Christine ne savait que faire pour tromper la longueur du temps : elle s’était mise à genoux, par terre, devant son christ, tenant en main son chapelet d’albâtre et affaissée sur elle-même ; la tête levée vers la croix, elle avait prié, mais prié pour Herbert, prié pour le revoir ; l’idée ne lui vint pas de prier pour demander de l’oublier ; puis, elle avait détaché la guitare suspendue au mur, elle avait passé à son cou le ruban bleu, bien fané, qu’on y avait mis à Séville, et que sa mère n’avait jamais permis qu’on remplaçât ; elle avait essayé quelques accords des chants qu’elle aimait, mais sa voix était étouffée, et ses larmes coulaient plus abondantes quand elle essayait de chanter. Elle avait ramassé les petites branches de saule et les avait placées entre les