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besoin de rapporter à sa mère le premier moment de bonheur dont elle jouissait après ces longs jours de deuil et de contrainte.

Christine se trompait. Si l’ame de sa mère avait pu descendre du ciel, elle serait venue étendre ses ailes sur la lettre que sa fille tenait, afin qu’elle ne pût pas la lire ; mais Christine était seule, un rayon du soleil levant éclairait la cime des saules, des souvenirs d’amour se réveillèrent dans le cœur de la jeune fille, et elle lut ce qui suit :

« Christine, je ne puis écrire que quelques lignes, une longue lettre difficile à cacher n’arriverait pas jusqu’à vous. Que votre ame écoute la mienne, qu’elle devine ce que je ne puis dire ! Mon amie, vous le savez, ma famille m’a confié à votre père, et lui a donné sur moi toute autorité. Il peut à son gré m’employer selon les exigences de ses maisons de commerce. Christine, je viens de recevoir l’ordre de m’embarquer sur un de ses vaisseaux faisant voile pour Batavia. »

Un cri s’échappa des lèvres de Christine, et son regard étincelant de larmes dévora les lignes suivantes :

« Votre père met l’immensité de la mer entre nous ; il nous sépare pour toujours. Ne plus nous voir ! Christine, ne plus nous voir ! est-ce possible ? Votre cœur aurait-il appris à comprendre ces mots-là depuis quelques jours que j’ai cessé d’être près de vous ? Non, ma bien-aimée Christine, non, ma fiancée, il nous faut vivre ou mourir ensemble ! Votre mère n’est plus ; votre présence n’est plus nécessaire au bonheur de personne. On est sans pitié, sans affection pour vous. Votre avenir est affreux. Je suis là, plein d’amour et de dévouement ; je vous appelle, venez, nous fuirons ensemble. Dans le port du Helder, il y a de nombreux vaisseaux ; ils nous emmèneront tous deux bien loin de ces lieux où nous avons tant souffert. J’ai tout prévu, tout préparé ; venez seulement, je vous attends. Christine, du mot que votre main tracera va dépendre ma vie. La vie, je n’en veux pas sans vous ! Séparés pour toujours !… si vous en signez l’arrêt, je n’achèverai pas l’existence amère que Dieu me destine. Je dirai : Malheureux est le jour où je vis ma bien-aimée pour la première fois ! ce jour-là a été toute ma vie. Et vous, vous, Christine, loin de moi !… où vivrez-vous sans amour ?… Oh ! venez, j’ai tant souffert sans vous ! Nous irons en Espagne, à Séville, dans la patrie de votre mère, dans ce pays où l’on aime dès que l’on existe, où l’on ne sait plus vivre quand on ne sait plus aimer ! Je vous appelle, je vous attends, Christine ! ma femme ! Ce soir, à minuit, trouvez-vous au bord de la rivière : j’y serai, et tout un avenir de bonheur est à nous. Venez, chère Christine, venez ! »

Pendant que Christine lisait, un torrent de larmes avait à son insu inondé la lettre d’Herbert. Elle éprouva un instant de trouble affreux. Elle aimait avec passion, mais elle était jeune, et l’amour n’avait pu