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avoir la puissance de troubler le repos général : le cœur de Christine battait à l’étouffer. Enfin elle atteignit la terre. Là, elle n’osa bouger : il lui semblait qu’on la voyait, qu’on l’entendait ; mais avec les mouvemens de Christine le bruit cessa, et le silence, à la fois consolateur et effrayant, régna de nouveau partout.

Christine fit quelques pas, leva la tête, et regarda la maison ; la fenêtre de son père était encore éclairée : elle frémit ; puis, se sentant plus de courage pour une minute d’audace que pour une demi-heure de précautions, elle se mit à courir à travers la prairie, et arriva, respirant à peine, à la haie de saules ; elle se figurait que derrière elle l’herbe craquait sous un autre pas que le sien ; la peur l’aveuglait, troublait sa raison. Avant de s’enfoncer dans les arbres, elle se retourna une dernière fois. Tout était solitaire et désert. Elle respira plus librement, et entr’ouvrit les branches des saules pour se frayer un passage ; elle reconnut sans peine l’arbre aimé, témoin des rendez-vous d’autrefois ; elle s’y pencha encore, et murmura si bas qu’un cœur seul pouvait l’entendre : — Herbert, êtes-vous là ?

Une rame effleura l’eau.

— Me voici, Christine ! répondit Herbert.

La barque s’approcha du saule ; le jeune étudiant se leva, tendit ses bras vers Christine, qui sauta légèrement dans le bateau. Une profonde émotion troublait leurs deux cœurs ; mais pas un mot ne fut prononcé ; Herbert prit rapidement les rames, et sortit de la petite baie ombragée, brisant les branches qui faisaient obstacle au passage du canot. Il gagna le milieu du fleuve. Alors la voile blanche, ce signal de leurs amours, se leva doucement au milieu de l’obscurité de la nuit ; un vent léger l’enfla ; la barque glissa sur l’eau, et Herbert, croyant à peine à son bonheur, vint s’asseoir aux pieds de Christine. Sa main chercha la main de la jeune fille ; il entendit qu’elle pleurait ; il pleura comme elle. Ils restèrent tous deux silencieux, émus, inquiets, heureux. Mais la nuit était belle, la lune donnait sa plus douce lumière ; l’eau avait un murmure qui semblait plus harmonieux que le jour ; la brise caressait leur front d’un souffle humide, la voile s’inclinait sur eux comme l’aile d’un être invisible ; ils étaient jeunes, ils s’aimaient ; il était impossible que la joie ne revînt pas dans leur cœur.

— Merci, merci, Christine ! murmura Herbert, merci de tant de dévouement, de confiance et d’amour ! Oh ! que la vie va être belle maintenant ! Nous sommes ensemble pour toujours !

— Ensemble pour toujours ! répéta Christine en laissant couler de nouveau ses pleurs.

La jeune fille sentait que les bonheurs trop grands se induisent, comme la douleur, par les larmes.

— Ma fiancée, ma femme, reprit l’étudiant, il n’y a plus qu’une seule