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changé autour de nous ; tout est calme, tranquille ; tout semble nous protéger et nous aimer.

— Herbert ! s’écria Christine en se levant brusquement toute droite dans le bateau, je ne me trompe pas ! Herbert, une rame frappe l’eau derrière nous ;… ne tous arrêtez pas pour écouter… Pour l’amour du ciel, ramez, Herbert, ramez !

La terreur de Christine était si grande, elle paraissait si sûre de ce qu’elle disait, qu’Herbert lui obéit en silence, et un sentiment d’alarme lui glaça le cœur. Christine se rapprocha de lui, s’assit à ses pieds et murmura :

— Herbert, nous sommes poursuivis ! le bruit de vos propres rames vous a seul empêché d’entendre. Une barque suit la nôtre !

— S’il en est ainsi, s’écria Herbert, qu’importe ?… L’autre barque ne porte pas Christine, elle n’est pas dirigée par un homme qui défend sa vie, son bonheur, sa femme ! Mon bras lassera le sien, sa barque n’atteindra pas la mienne !

Et Herbert redoubla d’efforts ; les veines de ses bras se gonflèrent à se rompre, son front se couvrit de larges gouttes de sueur.

Le canot fendait l’onde comme s’il avait eu des ailes. Christine restait blottie aux pieds du jeune homme, se pressant contre lui, comme pour chercher un refuge.

— Hélas ! dit-elle, je ne puis vous aider, je ne puis rien faire, pas même prier ma mère ou Dieu de nous sauver ! . . . ni l’un ni l’autre n’écouterait la prière d’un enfant qui s’enfuit de la maison de son père.

Herbert ramait toujours ; sa respiration ne s’échappait qu’avec effort de sa poitrine ; ses narines gonflées semblaient demander plus d’air qu’il n’en trouvait à respirer. Tout à coup il s’écria :

— J’entends ! oh ! moi aussi, j’entends !

Il se courba sur ses rames et fit un effort désespéré. Les larmes qui s’échappaient de ses yeux se mêlaient aux gouttes de sueur qui coulaient de son front.

D’autres rames frappaient l’eau non loin du bateau d’Herbert ; une main vigoureuse et ferme les dirigeait. Le jeune étudiant sentait ses forces s’épuiser ; il ramait en regardant Christine avec angoisse ; personne ne parlait, le bruit seul des rames des deux barques interrompait le silence ; le fleuve écumait et formait de longs sillages derrière elles.

Tout était calme et serein comme au départ de Christine, l’ame seule de la jeune fille avait passé de la vie à la mort ; ses yeux, pleins d’un feu sombre, suivaient avec terreur chaque mouvement d’Herbert ; elle voyait à l’expression de souffrance répandue sur son visage, elle voyait à ses larmes qu’il restait peu d’espérance d’échapper par la fuite. Herbert cependant ramait avec l’énergie du désespoir ; mais la