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vrai que le sens politique finit par s’émousser chez les peuples fatigués de révolutions, ce n’est aucun de ces actes étranges qui devait émouvoir et soulever le pays. Vivanco tomba non pour avoir supprimé d’un mot la constitution, mais pour avoir entrepris une chose utile, nécessaire, pour avoir osé, sans attendre que son pouvoir fût suffisamment bien affermi, s’attaquer à l’armée, dont il voulut opérer la réduction immédiate et la réforme. Cette réforme pourtant était indispensable, et l’opinion publique, qui se prononçait tous les jours davantage contre les militaires, la réclamait hautement ; mais elle était difficile, elle était intempestive surtout, et malheureusement, aveuglé par un excès de confiance en lui-même, convaincu que rien ne lui était impossible, Vivanco n’hésita pas à l’entreprendre. Témoin de tout le mal que l’armée avait si souvent fait au pays, il avait eu l’idée de lui substituer une garde nationale bien organisée, idée heureuse peut-être, et à laquelle tout le monde eût applaudi, s’il avait été assez fort pour l’exécuter. Il ne l’était pas encore, et, par sa tentative imprudente, il ne fit que mécontenter inutilement ceux à qui il devait son élévation, et qui dès-lors commencèrent à comploter sa chute.

Un des premiers instigateurs de la révolte fut le général Ballivian ; autrefois ami de Santa-Cruz, il occupait maintenant sa place en Bolivie. Ballivian chercha à saper par tous les moyens le pouvoir de Vivanco. L’armée péruvienne était mécontente et paraissait, regretter le général Torrico, bien certaine que ce dernier n’aurait jamais entrepris les réformes dont Vivanco la menaçait si imprudemment. Le président de la Bolivie n’eut pas de peine à s’entendre avec le général Torrico. Un assez grand nombre de Péruviens étaient demeurés en Bolivie depuis la bataille d’Ingavi. Ballivian les lui livra ; on y joignit quelques nouvelles recrues : Torrico se mit à leur tête et précédé de nombreuses proclamations adressées à l’armée, dont il voulait, disait-il, venger les droits méconnus par Vivanco, il passa la frontière, et entra sur le territoire péruvien. Il espérait y relever son ancien parti et appeler en même temps à lui tous les mécontens, en leur présentant un premier noyau auquel ils pussent se rallier. Ce n’est pas autrement que les révolutions se font d’ordinaire en Amérique ; mais cette fois la tentative insurrectionnelle avorta complètement, d’abord parce qu’il n’y avait pas de troupes dans les provinces où Torrico pénétra, ensuite à cause du peu d’influence que son nom avait dans le pays. Toutefois cette échauffourée eut des suites fâcheuses pour le gouvernement de Vivanco, car elle absorba son attention au moment où un danger bien plus grave le menaçait sur un autre point du territoire.

La ville de Moquégua n’avait jamais voulu reconnaître le gouvernement directorial. Elle s’était levée avec vigueur au nom de la constitution violée, et ses seuls habitans avaient déjà repoussé plusieurs fois