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tranquille ; c’est au roi des rois que je songe à répondre[1]. » Et quand le vicaire de Saint-Eustache, sa paroisse, vint lui dire qu’il avertirait les fidèles de prier pour sa santé : « Non pas cela, répondit brusquement Colbert, qu’ils prient Dieu de me faire miséricorde[2]. »

Ce qu’il y eut de fatalement triste dans cette noble destinée ne s’arrêta point à la mort. Chose étrange ! le ministre qui anticipait dans ses plans toute une révolution à venir, le règne de l’industrie et du commerce, celui qui voulait l’abolition des privilèges en matière d’impôt, une juste proportion dans les charges publiques, la diffusion des capitaux par l’abaissement de l’intérêt, plus de richesse et d’honneur pour le travail et une large assistance pour la pauvreté[3], celui-là fut impopulaire jusqu’à la haine. Son convoi, devant passer près des balles, ne sortit qu’à la nuit et sous escorte, de peur de quelque insulte du peuple. Le peuple, et surtout celui de Paris, haïssait Colbert à cause des taxes onéreuses établies depuis la guerre de Hollande ; on lui imputait la nécessité contre laquelle il s’était débattu en vain, et l’on oubliait d’immenses services pour le rendre responsable de mesures qu’il déplorait lui-même et qu’il avait prises malgré lui. Le roi fut ingrat, le peuple fut ingrat ; la postérité seule a été juste.

La mort de Colbert et la révocation de l’édit de Nantes, une perte irréparable et un coup d’état funeste, marquent, dans le règne de Louis XIV, le point de partage des années de grandeur et des années de décadence. De ces deux événemens séparés par un court intervalle, on peut dire que le second ne fut pas sans liaison avec le premier. Il faut ajouter aux mérites du grand ministre celui d’avoir été le défenseur des protestans, d’avoir combattu sans relâche les atteintes portées par l’esprit d’unité religieuse à la charte de liberté de Henri IV. C’était encore la politique de Richelieu qu’il suivait en maintenant les droits inoffensifs garantis deux fois aux réformés[4]. Moins par philosophie que par instinct patriotique, il protégeait en eux toute une

  1. Monthyon, Particularités, etc., p. 79, note. — Œuvres de Racine, t. VI, p. 334. — Lettres de madame de Maintenon, 10 septembre 1683, t. II, p. 103.
  2. Œuvres de Racine, t. VI, p. 334. — L’hôtel Colbert était situé dans la rue Neuve-des-Petits-Champs.
  3. Voyez dans les histoires de l’administration de Colbert ses efforts constans pour réduire l’impôt de la taille et ses tentatives pour substituer la taille réelle à la taille personnelle, établir le cadastre et fonder le régime hypothécaire. Voyez aussi le règlement général sur les tailles, donné le 12 février 1663, l’ordonnance d’avril 1667 sur les biens communaux, l’édit de décembre 1665, portant réduction de l’intérêt légal au denier vingt, l’édit de mars 1673, pour la publicité des hypothèques, et l’édit de juin 1662, portant qu’il sera établi dans chaque ville et bourg du royaume un hôpital pour les pauvres, les malades et les orphelins. Recueil des anciennes lois françaises, t. XVIII, p. 18, 22, 69 et 187, et t. XIX, p. 73.
  4. D’abord par l’édit de Nantes, 13 avril 1598, et ensuite par l’édit donné à Nîmes en juillet 1629.