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de travailler aux améliorations que réclame l’opinion publique. Il faut enlever tout prétexte à la révolte ; les gouvernemens, en recherchant activement la mesure du progrès possible, justifient leur existence et suivent la loi de leur destinée.

Dieu n’a pas fait de la vie cénobitique l’état naturel des sociétés. Le détachement de soi et la renonciation aux biens de la terre sont des élans généreux qui peuvent honorer un individu, mais qui n’appartiennent ni aux familles ni aux nations. M. de Bonald a défini l’homme : « Une intelligence servie par des organes. » De là sa destinée qui comprend l’ordre matériel et l’ordre moral. La Providence a assigné des lois à l’un comme à l’autre. La science du bien-être est donc aussi légitime que la science du bien. On enseigne l’économie politique au même titre que l’on enseigne la morale ; car, si l’homme ne doit pas vivre dans le vice, il ne doit pas non plus souffrir de la faim ni croupir dans la boue. Laissons donc chaque chose à sa place, et n’excluons, dans le gouvernement des sociétés, aucune des connaissances auxquelles il a plu à Dieu de nous élever.

Les causes des révolutions ne sont jamais simples ; si l’on cherchait bien, même au fond des querelles purement dogmatiques en apparence qui ont agité le monde, on y trouverait constamment quelque intérêt matériel froissé qui a irrité de son venin l’effervescence du sentiment religieux. Le christianisme, tout divin qu’il est, aurait-il obtenu ce rapide et universel développement, s’il n’avait pris naissance dans une société partagée en maîtres et en esclaves ?

La société européenne, je l’accorde à M. Donoso, Cortes, est surtout malade parce que le principe de l’autorité s’y trouve abaissé. Relever l’autorité, la rendre respectable et la faire obéir, voilà désormais notre principale tâche. Les gouvernemens modernes y réussiront, ou ils périront. Mais, en nous attachant à cette grande et sainte croisade, nous est-il défendu de pourvoir aux soins ordinaires de la vie ? Pour rendre les hommes meilleurs, est-ce donc une chose indifférente que de les rendre un peu plus heureux ? Rétablir l’ordre dans les finances, amener une distribution plus équitable des impôts, améliorer les conditions du travail, faciliter l’emploi et le bon marché des capitaux, ranimer l’activité par la confiance : voilà un programme qui s’impose aujourd’hui à tout homme d’état digne de ce nom. Ce n’est pas assez de rassurer les bons et de faire trembler les méchans ; l’autorité, pour recouvrer son prestige et sa force au milieu de nous, doit encore se montrer prévoyante et humaine.


LÉON FAUCHER.