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leur dignité, de leur influence morale : je veux parier du clergé et de la magistrature. Là encore la réforme est urgente, indispensable, et personne au Pérou ne l’ignore. Avant que le gouvernement puisse agir efficacement lui-même, peut-être la presse américaine pourrait-elle contribuer fortement à préparer cette réforme, si la presse à Lima, au lieu de se prêter à des récriminations personnelles qui finissent le plus souvent par tomber dans de grossières injures, comprenait mieux le grand rôle qu’elle pourrait jouer.

Malgré tant de mauvaises influences qui pèsent sur ses destinées, il n’est pas douteux cependant que, depuis quelques années surtout, le Pérou est en voie de progrès. Que leur faut-il, en effet, à ces beaux pays de l’Amérique pour devenir chaque jour plus riches et plus florissans ? La paix, la tranquillité surtout. Bien différens de notre vieille Europe, où l’homme qui travaille n’est pas toujours sûr de gagner le pain de sa famille, les jeunes états de l’Amérique du Sud appellent au contraire les travailleurs et offrent à l’activité de l’homme un champ illimité. Là, ce n’est pas la terre qui manque aux bras, ce sont les bras qui manquent à la terre. Les gouvernemens, s’ils entendaient mieux leurs véritables intérêts, devraient donc s’efforcer d’y appeler les émigrans européens de tout leur pouvoir. Malgré la distance, l’émigration ne tarderait pas à se porter dans un pays où un ouvrier peut facilement gagner 8, 10 francs par jour et davantage. Par malheur il existe, il a toujours existé dans la race espagnole une prévention hostile contre les étrangers, et cette prévention domine encore au Pérou comme dans toute l’Amérique du Sud. Il y a là une tendance fâcheuse que le rôle d’un gouvernement éclairé serait de combattre.

Cette prévention, qui est faite pour décourager les émigrans, ne s’étend pas, j’ai hâte de le dire, aux voyageurs isolés : ceux-ci sont parfaitement repus, ils trouvent partout un accueil bienveillant, parfois même une hospitalité que bien peu d’autres pays pourraient leur offrir ; mais, pris en masse, Anglais, Français, Italiens, hommes de l’Europe enfin, de quelque pays, de quelque nation qu’ils soient, sont cordialement détestés du gros de la population, qui les subit comme une nécessité, et qui ne demanderait pas mieux que de les chasser tous du sol américain, si l’occasion s’en présentait jamais. Je sais que les étrangers ont parfois d’assez graves torts à se reprocher vis-à-vis des Américains ; mais ce ne sont pas ceux que les Américains leur supposent. Les Américains sont persuadés que les Européens ne viennent chez eux que pour les dépouiller ; que cet argent que nous exportons de leur pays en échange de nos étoffes, de nos tissus, de nos produits de toute espèce, nous le prenons à leur détriment, et qu’ils seraient beaucoup plus riches, s’ils ne nous connaissaient pas. Ils oublient ce